Mieux que « Loft Story », « Secret Story » ou n’importe quelle autre téléréalité : RealLifeCam. Ou carrément pire, c’est selon.
Ce site internet permet d’observer 24 heures sur 24 et sept jours sur sept des gens chez eux grâce à des webcams installées dans toutes les pièces de leur appartement. Vraiment toutes. La cuisine et le salon sont en libre accès, pour les chambres et la salle de bain, il vous faut en revanche sortir la Carte Bleue.
« Big brother is watching you »
Deux tarifs sont proposés par le site :
un abonnement en tant que membre standard à 29,95 dollars par mois. A ce prix-là, six appartements vous sont ouverts ;
un abonnement Premium à 44,95 dollars mensuel. Il permet de voir les onze appartements et d’avoir accès à une foule d’options : détection de mouvements, mode plein-écran ou encore possibilité de regarder plusieurs appartements à la fois.
Pour appâter le voyeur, le site permet aux membres non-inscrits d’avoir accès pendant quelques heures à l’ensemble des appartements, hors pièces « intéressantes ». J’ai tenté l’expérience pendant deux heures.
Capture d’écran de Yarik sur son canapé (RealLifeCam)
Tous les appartements sont occupés par des jeunes couples, excepté une colocation. C’est le site qui fournit l’appartement et paye le loyer. La durée du séjour varie en fonction de la vie des participants (grossesse, séparation, travail, etc.). Certains sont sur RealLifeCam depuis des années, d’autres ne restent que quelques mois.
Peu d’informations sont fournies à propos des participants si ce n’est leurs prénoms et, pour certains, le fuseau horaire sur lequel ils se trouvent :
Leora et Paul, couple, GMT +7
Maya and Stephen, couple, GMT +7
Dasha et Demi, couple, GMT +3
Nina et Kira, couple, GMT +3
Zoya et Lev, couple, GMT +3
Adriana et Daniel, couple, GMT +2
Carina et Sabrina, couple
Nora, Milana, Kamila, trois jeunes filles
Suzan et Hector, couple
Nelly et Bogdan, couple
Taya et Yarik, couple
Entre ennui et fascination
Comme presque tous les gens de mon âge, j’ai été biberonnée à la téléréalité et j’ai aimé ça. Il y avait quelque chose d’addictif dans ces programmes sans que je sache trop quoi. Au fil du temps je me suis lassée, sans trop pouvoir l’expliquer non plus.
Aujourd’hui, la téléréalité m’ennuie autant qu’elle me fascine. C’est ce même paradoxe qui m’a envahie juste avant de lancer RealLifeCam. D’autant que ce programme dépasse son aîné télévisuel.
Avec RealLifeCam, pas de mise en scène, de défis ou de stratégies destinées à booster l’audience. C’est la vie quotidienne des gens, dans tout ce qu’elle a de plus banal, qui nous est livrée en pâture.
L’intérêt pour l’internaute ? J’ai du mal à le voir. Dans le même temps, j’avoue me sentir bien dans cette posture d’espionne. Il y a un petit côté excitant à pouvoir tout voir et suivre les gens de pièce en pièce grâce à un simple clic.
Regarder RealLifeCam, c’est voir des gens vautrés sur le canapé, mater la télé, passer des coups de fils, bouquiner ou faire à manger. En soi, les scènes n’ont pas grand intérêt mais elles ont un côté rassurant : la vie quotidienne de ces personnes ressemble à celle de M. Tout-le-Monde.
Mais regarder RealLifeCam, c’est aussi voir des choses plus intimes : des personnes nues, des disputes de couples mais aussi des moments de tendresse et, forcément, des rapports sexuels.
Ce site internet réveille la part de voyeur qui se cache en moi, en chacun de nous.
Le voyeurisme plus fort que la pornographie
Michael Stora, psychologue et psychanalyste, également cofondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH), s’est penché sur cette question du voyeurisme :
« Le voyeurisme a toujours été très présent, bien avant la téléréalité. Elle a seulement contribué à le mettre en scène. Si elle a autant de succès c’est parce qu’elle agit comme une sorte de miroir dans lequel les gens se reconnaissent. Elle leur permet aussi de faire le psy ou le journaliste.
L’une des interprétation du voyeurisme le relie d’ailleurs à la scène primitive telle que Freud l’a décrite. C’est celle des relations sexuelles entre les parents telle que l’enfant l’a vue ou qu’il se la représente. Le voyeurisme aurait pour origine la frustration de cette scène. »
Personne n’est dupe, le succès de RealLifeCam tient essentiellement aux scènes de sexe et de nudité.
Sur CamCaps, un forum dédié aux fans du programme et comptabilisant près de 55 000 membres, les échanges de photos et de vidéos « sexy » sont nombreux. Pourtant, si beaucoup se délectent de ce genre de scènes, l’intérêt est différent de celui de la pornographie. Michael Stora :
« Le plaisir sexuel voyeuriste est plus fort que la pornographie. Une pulsion sadique se cache derrière le voyeurisme. Il y a ce désir d’attente d’une situation cocasse qui peut exciter. C’est quelque chose qui ne se retrouve pas dans un film pornographique où tout est prémâché. »
Voir des filles nues et découvrir une culture
François (le prénom a été changé) est un membre actif de CamCaps. Il fait partie de ces voyeurs « accros » à RealLifeCam. A 45 ans, il est membre premium et se rend quotidiennement sur ce site qu’il connaît depuis trois ans :
« J’ai toujours été assez voyeur, et le fait de pouvoir regarder les participantes sans interruptions et 24 heures sur 24 est assez sympa. Je recherche, bien entendu, à voir les filles nues, mais au-delà, je suis très intéressé par observer et découvrir la vie de jeunes couples, de cultures différentes, et vivant dans des endroits qui m’étaient totalement inconnus, comme le fin fond de la Russie.
Je ne suis pas là pour voir du porno, il y a d’autres sites pour cela, mais pour observer les gens dans leur quotidien, la musique qu’ils écoutent, ce qu’ils mangent, ce qu’ils regardent à la télévision, etc. “
Au bout d’un moment, une certaine proximité se crée. François connaît tout de l’intimité et des petites habitudes des participantes et, malgré la barrière de la langue, il est arrivé aussi à cerner beaucoup de leurs personnalités. La relation reste cependant unilatérale :
‘Par l’observation et le bon sens, j’ai identifié la plupart des participantes, et j’ai ainsi accès à leurs réseau sociaux. Ça me permet d’en savoir beaucoup plus sur leur vraie’ vie hors RealLifeCam. Bien entendu, je ne suis ni un harceleur ni un malade, hors de question pour moi d’avoir le moindre contact avec les participantes.”
François n’est pas un cas isolé, comme toute télé-réalité, RealLifeCam a un fort pouvoir addictif.
Après 2 heures de visionnage je me surprends même à pouvoir identifier certains des protagonistes par leurs prénoms, sans regarder la liste de gauche.
Source Article from http://rue89.nouvelobs.com/2015/07/12/reallifecam-voyeurisme-a-lheure-web-realite-260212
Source : Gros plan – Google Actualités