LA TRIBUNE – Alors cette fois ça y est, la crise est finie ?JACQUES ATTALI – Pas du tout. On a reporté la crise des banques vers les États, sans que les banques ne soient réellement tirées d’affaire. La dette des pays riches s’est envolée, passant de 60 à 100 %. On a utilisé à plein tous les instruments de musique sur lesquels on pouvait jouer, de la relance budgétaire aux taux d’intérêt zéro. Malgré cela, la croissance n’est pas vraiment repartie. On a utilisé les soins palliatifs, le malade est en sursis, mais il ne survit que grâce à des drogues dures dont il est très difficile de se passer.
Aux États-Unis pourtant, la Réserve fédérale commence à envisager de ralentir les achats d’actifs du programme de Quantitative Easing…Ce n’est pas fait. L’évolution récente du processus de nomination du successeur de Ben Bernanke à la Réserve fédérale [le « faucon » Larry Summers a été contraint par les démocrates de jeter l’éponge, ndlr] montre que le débat sur la poursuite du soutien monétaire est encore vif. En prévenant que la crise est toujours présente, Mario Draghi, le président de la BCE, est le seul responsable sérieux.
Le rebond des indices n’annonce donc pas la reprise ?Il y a une reprise conjoncturelle aux États-Unis par l’effet richesse de la hausse de Wall Street, à son plus haut depuis 2007. Mais rien n’est réglé sur le plan budgétaire. En Europe, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne repartent. La France aussi mais c’est une reprise fragile, sans création d’emplois. Aucun pays n’a encore retrouvé le niveau de PIB de 2007. Et en 2014, l’environnement international va être freiné par le ralentissement de la croissance dans les pays émergents. Nous sommes loin d’être tirés d’affaire.
Une relance européenne est-elle possible après les élections allemandes du 22 septembre ?L’espoir n’est pas dans la Commission européenne, à bout de souffle. L’Union européenne n’est plus une zone d’intégration politique, mais une union économique de droit commun. Le sens de l’histoire est que l’Union soit la plus large possible et s’étende à la Turquie et à la Russie. Le sort de la zone euro est autre. Pour survivre, elle devra prendre le large par rapport à l’Union européenne, et faire le choix d’une intégration plus profonde pour aller vers l’union politique.
Vous organisez du 25 au 27 septembre au Havre la deuxième édition du LH Forum sur l’économie positive. L’idée est désormais installée dans le paysage ?Je le crois. J’ai remis le 21 septembre au président le rapport qu’il m’a demandé lors de la première édition, l’an dernier. Nous montrerons que la crise est largement due au fait que l’économie n’est pas assez positive, dans une définition simple de ce terme, à savoir une économie qui prend en compte l’intérêt des générations suivantes. La crise que nous traversons depuis 2008 est l’aboutissement de comportements dominés depuis quarante ans par la tyrannie du court terme, et qui se sont « extrémisés » au cours des vingt dernières années.
C’est un rapport Attali 3…C’est un travail différent. Une cinquantaine d’experts du monde entier y a participé et nous formulons 45 propositions de réformes, dont certaines étonneront, sur des sujets très divers, comme la responsabilité sociale et environnementale. Nous proposons aussi un indicateur inédit de la « positivité » des pays, pour mesurer leur prise en compte du long terme. La Suède est en tête, sans surprise, les États-Unis sont 12e, l’Allemagne est 13e et la France arrive au 19e rang, sur 34.
Un résultat très moyen. De fait, si on regarde la transition énergétique, c’est la panne sur le plan politique…Ça avance, moins vite que prévu mais on peut espérer des progrès à la conférence environnementale, ce vendredi 20 septembre. Alors que la crise devait nous appeler à agir vite pour le long terme, c’est aussi trop souvent un prétexte pour ne rien faire, hélas. Il y a néanmoins une prise de conscience progressive et mondiale de la nécessité d’agir en faveur des générations suivantes. On le voit avec les retraites, l’éducation, l’environnement. En France, la réforme des retraites ne voit pas assez loin. On a traité le problème pour cinq ans, pas pour vingt ans.
Sur qui repose la révolution de l’économie positive ? La société civile ?L’État est, et reste, le principal garant du long terme. Il doit donner du temps aux entreprises et aux individus. La politique industrielle doit penser à dix ans, voire vingt ans. Le plan sur les 34 filières annoncé par le gouvernement va dans le bon sens à condition de ne pas entrer dans le détail de la vie des entreprises. La société civile est dynamique dans les périodes de crise. Les ONG se développent beaucoup et font bouger les choses dans le monde. Le développement de la RSE, de l’économie de l’altruisme, à ne pas confondre avec le partage, montre la grande vitalité de la recherche de solutions nouvelles face à une crise multiforme.
L’économie numérique joue-t-elle un rôle pour accélérer la mutation vers l’économie positive, grâce aux nouveaux usages qu’elle permet de développer ?Oui, c’est un facilitateur de l’évolution vers une économie positive, parce qu’elle permet la transparence et le partage. Mais elle pose aussi problème en renforçant la préoccupation de l’instant, voire de l’immédiateté, au détriment de la pensée à long terme.
Où en est l’application des mesures des deux rapports sur la libération de la croissance que vous avez dirigé sous Nicolas Sarkozy ?Un tiers a été appliqué sous Sarkozy, un autre tiers est en cours de mise en place. Reste un tiers en friche, et à appliquer vraiment les deux premiers tiers… Une ordonnance n’est pas efficace si vous ne prenez les médicaments prescrits que de temps en temps. Le dernier tiers est le plus dur à faire, je veux parler de la réforme de l’État et des collectivités locales. Faire des économies, ce n’est pas diminuer de 2 % les crédits de tous les ministères, c’est faire des choix sur le périmètre et l’organisation de la sphère publique.
Quand Hollande prépare un plan pour la France de 2025, il fait de l’économie positive sans le savoir ?Oui, le Plan 2025 est un bon début. Mais cela ne sera utile et efficace que si le président ajoute à sa réflexion la question suivante : qu’est-ce que je peux faire dans mon action quotidienne pour atteindre cet objectif ? Faire un plan à l’horizon 2025 sans rien faire pour le réaliser au quotidien, cela ne sert à rien.
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Source : Gros plan – Google Actualités