Il est reconnaissable entre tous, avec sa paire d’immenses cornes. Le bouquetin, espèce emblématique des Alpes, est menacé en Haute-Savoie. « Le préfet de Haute-Savoie, sous couvert de sécurité publique, s’apprêterait à faire tuer la totalité des bouquetins restant sur le massif du Bargy ; y compris les jeunes nés en 2014 et les animaux sains », alertent dans un communiqué France nature environnement, la Ligue protection des oiseaux (LPO), Agir pour la biodiversité, la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna) et le Club alpin français. Motif : la crainte de la propagation de la brucellose, une maladie infectieuse qui touche les ruminants et les hommes. Une raison contestée par les ONG et plusieurs autorités scientifiques.
« 325 bouquetins, sur les 600 que compte le massif, ont déjà été décimés l’an dernier, déplore Jean-Pierre Crouzat, administrateur de la LPO et de la Frapna Haute-Savoie. Il est aberrant d’abattre des animaux sains pour endiguer l’épizootie. »
D’autant que Capra ibex est classé parmi les espèces protégées en France depuis 1981, après avoir quasiment disparu des Alpes à la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, sa population est estimée à près de 10 000 individus, grâce à l’interdiction de la chasse, à la création du Parc national de la Vanoise et à un programme de réintroductions depuis les années 1960.
Cette période de faste prend fin en avril 2012, quand la brucellose bovine, une maladie infectieuse due à une bactérie du genre Brucella, resurgit dans une exploitation laitière du sud du massif du Bargy alors qu’elle avait été éradiquée de Haute-Savoie en 1999 (et de France en 2003). Deux personnes tombent malades après avoir consommé du fromage frais produit dans cette ferme. Une enquête met alors en évidence que les bouquetins ont transmis la bactérie aux bovins, jouant le rôle de réservoir « silencieux » entre le dernier foyer en 1999 et la nouvelle épidémie de 2012. Depuis, aucune nouvelle contamination de brucellose n’a eu lieu parmi les cheptels domestiques de Haute-Savoie.
Dans deux rapports rendus publics en juillet et septembre 2013, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) conclut que « le risque de transmission de la brucellose des bouquetins aux cheptels domestiques reste minime », et que la contamination de l’élevage laitier était « vraisemblablement accidentelle et exceptionnelle ». Elle estime par ailleurs que, faute d’informations suffisantes sur l’état de la population et la dynamique de l’épidémie, son « analyse ne permet pas de confirmer la nécessité de mettre en œuvre dans l’urgence les actions d’abattage envisagées ».
Dans la foulée, le Conseil national de protection de la nature (CNPN), une institution rattachée au ministère de l’écologie, considère, dans un avis, « que si l’éradication du foyer de brucellose chez le bouquetin des Alpes dans le massif du Bargy s’avère indispensable, elle n’a nullement besoin d’être réalisée dans l’urgence », relate sur son blog Matthieu Stelvio, à la tête du collectif Sauvons les bouquetins et à l’origine d’une pétition contre l’abattage signée par 45 000 personnes. Au final, le CNPN retient la solution d’un abattage partiel des caprinés, à savoir les seuls animaux séropositifs sur une durée de trois ans.
Cette position prudente ne sera pas suivie par l’Etat. Le 1er octobre 2013, après un arbitrage du cabinet du premier ministre, le préfet de Haute-Savoie prend un arrêté préfectoral ordonnant l’abattage de tous les bouquetins de cinq ans et plus dans le massif du Bargy, valable pendant un an. « Le lendemain, le massif était bouclé, 240 hommes étaient déployés sur le terrain et 260 animaux ont été abattus en deux jours », raconte Jean-Pierre Crouzat.
« L’Etat a cédé aux lobbies des éleveurs, des chasseurs et certains parlementaires », ajoute-t-il. De fait, en septembre, le député UMP de Haute-Savoie Bernard Accoyer a défendu, dans une lettre au premier ministre de l’époque Jean-Marc Ayrault, l’abattage de tous les bouquetins du Bargy au nom du principe de précaution (qu’il a à d’autres occasions critiqué). Autre raison invoquée : la mise en péril de tout un pan de l’économie haut-savoyarde, à savoir la viande et surtout le lait des vaches, qui sert à produire le fameux Reblochon.
« Nous savons que le préfet est maintenant en train de négocier un abattage de tous les bouquetins et non plus seulement ceux âgés de cinq ans ou plus, assure Jean-Pierre Crouzat. Or, il n’est pas nécessaire de procéder à une nouvelle vague d’abattage massif qui conduirait à l’extinction de cet animal du massif. » La préfecture de Haute-Savoie n’a pas souhaité répondre au Monde.
Les ONG proposent une alternative : n’abattre que les individus malades et ainsi préserver la moitié de la population saine – puisque la prévalence de la maladie a été évaluée à 45 %. « L’Anses a produit un test sérologique qui permet de vérifier sur le terrain si l’animal est infecté ou pas », indique M. Crouzat. « Les bouquetins sont par ailleurs appréciés des touristes », avance-t-il, en dernier argument. Reblochon contre tourisme donc.
Audrey Garric
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Crédits photos : 1/ CHRISTOPH SCHMIDT / DPA / AFP ; 2/ DIETER NAGL / AFP ; 3/ ERIC PIERMONT / AFP
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Source Article from http://ecologie.blog.lemonde.fr/2014/09/03/polemique-autour-de-labattage-massif-des-bouquetins-de-haute-savoie/
Source : Gros plan – Google Actualités