Un communiqué dimanche 1er mars, un contre-communiqué lundi, et enfin un tweet embarrassé mardi, à 17 heures. Le World Press Photo s’enfonce toujours plus dans la tourmente et les débats internes depuis la mise en cause du prix remporté par l’Italien Giovanni Troilo, accusé d’avoir eu recours à la mise en scène pour son sujet sur Charleroi, intitulé « le cœur noir de l’Europe ».
Based on new information, we are reopening investigation of 1st prize Contemporary Issues story. We will update as soon as possible.
— WorldPressPhoto (@World Press Photo)
« En raison de nouvelles informations, annonce le tweet, nous relançons l’enquête sur le premier prix de la catégorie Problématiques contemporaines. Nous vous tiendrons au courant dès que possible. »
L’information en question vient du photoreporter belge Bruno Stevens qui, aidé par d’autres photographes, a réussi à prouver qu’une photographie de la série a été réalisée à Bruxelles et non à Charleroi. Il s’agit de la photo montrant un homme nu, sur une table de dîner, entouré par des hommes habillés et des femmes nues debout. La légende indique : « A Charleroi, le Belge Vadim, un peintre qui utilise des modèles vivants, crée une œuvre inspirée d’une peinture. » En réalité, affirme Bruno Stevens joint par téléphone, « le peintre a son atelier à Bruxelles, et c’est là qu’a été faite la photographie ».
« Une erreur dans la légende »
Le photographe Giovanni Troilo, joint par téléphone, ne conteste d’ailleurs pas les faits : « J’ai fait une erreur dans la légende, reconnaît-il. Et j’en suis vraiment désolé. Mais ce n’était pas dans le but de tromper qui que ce soit, sinon je n’aurais pas laissé le nom du peintre. C’est quelqu’un de connu, et il était facile de trouver cette information. » Mais n’est-il pas gênant qu’un travail traitant de Charleroi inclue une photo prise à Bruxelles ? « Mon propos part de Charleroi, dit-il, mais c’est surtout un point de départ pour évoquer l’identité européenne dans son entier. Vous pouvez lire sur mon site l’ensemble du texte du projet. Molenbeek, où a été prise la photo du peintre, est un quartier vraiment au cœur de l’Europe, pas loin des institutions de l’UE. Et un endroit où il y a plein de problèmes. » Le photographe voit son travail comme « une invitation à s’interroger sur l’Europe, ses difficultés d’intégration, ses problèmes économiques. Et à son idéal d’une identité commune auquel je veux continuer à croire ».
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Pour répondre aux polémiques sur les accusations de mise en scène, la participation de sa famille au projet, les erreurs ou approximations de légendes, Giovanni Troilo indique que ses photos « sont basées sur la réalité, mais elles ne sont pas la chronique locale des informations locales, elles disent une atmosphère, elles suggèrent. Et beaucoup de gens de Charleroi se sont reconnus dedans ». Mais est-ce du journalisme ? Il botte en touche : « Je suis photographe. Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Le World Press a accepté mon travail. »
« Il faut être cohérent et exclure ! »
Le World Press, qui s’est réuni mardi soir, n’a pas rendu de décision après cette nouvelle révélation. Excédé par ces tergiversations, tard dans la nuit, le directeur du festival de photojournalisme Visa pour l’image, Jean-François Leroy, a décidé d’annuler la traditionnelle exposition des photos du World Press à Perpignan. « Ça fait dix jours qu’ils réfléchissent. Maintenant qu’il est clair que c’est du bidon, qu’il utilise un flash, qu’il fait poser son cousin, et qu’une des photos n’est même pas prise à Charleroi, il faut arrêter de discuter, il faut décider ! »
Le directeur précise qu’il ne pouvait pas, selon le règlement du World Press, exposer les prix en supprimant juste les images de Giovanni Troilo. « Quand je pense qu’ils se font fort au World Press d’avoir exclu 20% des sujets cette année à cause de manipulations sur Photoshop… Là, la photo est mise en scène, une légende parle de psychotropes et d’asile alors que la photo d’à côté montre une femme dans une maison de retraite… Il faut être cohérent et exclure ! » Jean-François Leroy espère que sa décision aidera le World Press à prendre la sienne, tout en précisant, avec son franc-parler habituel : « Quand ils auront foutu ce mec dehors, on pourra rediscuter, et on verra si je reconsidère ma décision. »
Source Article from http://www.lemonde.fr/arts/article/2015/03/04/nouveaux-remous-au-world-press-photo_4587403_1655012.html
Source : Gros plan – Google Actualités