Le président de la République doit présenter, lundi 18 janvier, de nouvelles mesures pour, enfin, « inverser la courbe du chômage », comme il s’y était engagé. Une fois de plus, pourrait-on dire, tant les plans se succèdent depuis plusieurs décennies pour lutter contre ce fléau : politiques de relance de la demande par la dépense, augmentation du niveau d’études, emplois aidés, emplois jeunes, aides aux entreprises sous la forme d’une diminution des charges, formation des chômeurs, développement de l’apprentissage…
Et pourtant, malgré ce déploiement considérable de moyens, avec 10,6 % de sa population active sans emploi en janvier, la France ne parvient pas à résorber le chômage. Parmi les grands pays occidentaux, c’est aujourd’hui l’un des seuls à ne pas avoir réussi à le faire baisser durablement. Alors, que se passe-t-il ? De nombreux économistes se sont penchés sur le sujet pour tenter de comprendre d’où vient cette spécificité française.
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La démographie n’est pas étrangère à la situation : « Le chômage en France est élevé de manière structurelle », affirme Stéphane Carcillo, professeur associé au département d’économie de Sciences Po. « Le maximum a été atteint en 1997, avec 10,8 % de chômage, et là on est à 10,6 %. On est très rarement descendus au-dessous de la barre des 8 %. » Pourquoi ? « En France, il arrive chaque année 30 % de jeunes de plus sur le marché du travail qu’en Allemagne », souligne Michel Abhervé, professeur associé à l’université de Paris-Est-Marne-la-Vallée. Ce phénomène se double d’un autre élément majeur : les Français partent – ou devraient partir – à la retraite de plus en plus tard. Au-delà, les experts sont globalement d’accord pour dire qu’il ne sert à rien de dépenser « plus », mais qu’il faut dépenser « mieux », et qu’il est possible d’agir sur certains leviers.
Abaisser le coût du travail
« Aujourd’hui, en France, le coût du travail au niveau du salaire minimum est encore ennemi de l’emploi », tranchent Pierre Cahuc et André Zylberberg, respectivement directeur du laboratoire de macroéconomie du Centre de recherche en économie et statistique (Crest) et directeur de recherche émérite au CNRS. Selon l’OCDE, le salaire minimum brut était, en 2013, le plus élevé des pays membres après le Luxembourg : 10,6 dollars (9,7 euros) l’heure contre 7,85 au Royaume Uni et 9,69 en Allemagne. Certes, de très nombreux dispositifs sont déjà venus alléger le coût du travail pour les entreprises : exonérations de charges, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), pacte de responsabilité… N’en déplaise à ceux qui dénoncent les « cadeaux » ainsi faits aux entreprises, les allégements de charges « doivent être poursuivis et amplifiés tant que le salaire minimum détruit des emplois », ajoutent les deux chercheurs.
Autres pistes : « Subventionner certaines embauches », créer un impôt négatif sur les bas salaires ou redistribuer du revenu par le biais du RSA (revenu de solidarité active). Faute de quoi, le smic peut avoir des conséquences opposées à celles recherchées, puisqu’il accroît les inégalités en empêchant l’accès à l’emploi, notamment pour les chômeurs les moins qualifiés (50 % des demandeurs d’emploi n’ont pas le bac).
Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, va plus loin : non seulement le coût du travail est un frein à l’embauche, mais il s’ajoute « à l’insécurité sur le coût d’une éventuelle séparation ». A cet égard, la volonté manifestée par le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, d’encadrer le montant des indemnités prud’homales va plutôt dans le bon sens. Notons d’ailleurs que la complexité juridique du contrat de travail – y compris des conditions de sa rupture – reste un obstacle à l’accès à l’emploi.
Mieux cibler la formation
Former 500 000 chômeurs, comme le prévoit François Hollande ? Si tant est que ce soit réalisable, les économistes sont sceptiques sur l’efficacité d’une telle mesure. Jamais, pointent-ils en effet, le niveau global d’éducation d’une génération n’a été aussi élevé, et pourtant le chômage n’a jamais été aussi fort.
Certes, le lien est établi entre le niveau d’études et la capacité à entrer sur le marché du travail. Mais encore faut-il que les formations correspondent à un besoin, ou encore qu’elles répondent à l’évolution des métiers, ce qui est loin d’être toujours le cas en France, comme le démontre l’économiste Mathilde Lemoine dans son rapport pour la fondation Terra Nova (Entrer et rester dans l’emploi, un levier de compétitivité, un enjeu citoyen, juin 2014, Fondation Terra Nova).
Stéphane Carcillo, lui, fait le constat que la formation coûte extrêmement cher : 30 milliards d’euros, trois fois plus que le budget total de l’emploi. Pour quel résultat ? « On ne sait pas très bien où va cet argent, le système n’est pas du tout évalué », souligne le chercheur. « Il est généralement plus efficace d’intégrer ces personnes dans l’emploi en réduisant le coût de leur travail », jugent MM. Cahuc et Zylberberg.
Les préconisations vont toutes dans le même sens : réorienter les dépenses publiques de formation vers les très jeunes enfants, dans les populations les plus défavorisées, en interaction avec le milieu familial ; et ensuite vers les programmes ciblés, avec un suivi long et coûteux des bénéficiaires, ce qui suppose d’en finir avec le saupoudrage des aides. Et, pourquoi pas, « laisser les entreprises former les gens en fonction de leurs besoins, comme aux Etats-Unis », comme le remarque Stéphane Carcillo.
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Réellement valoriser l’apprentissage
Depuis Raymond Barre, le premier à l’avoir mis au menu en 1979, rares sont les gouvernants qui n’ont pas mis en avant l’apprentissage comme l’une des clés de l’emploi des jeunes. Effectivement, l’apprentissage se révèle relativement efficace : il permet d’améliorer d’environ 10 % l’insertion et l’intégration des jeunes sur le marché du travail.
Mais la comparaison avec l’Allemagne, sans cesse montrée en exemple, trouve ses limites. D’abord parce que les tensions sur le marché du travail et le vieillissement de la population outre-Rhin font que les entreprises y ont besoin d’embaucher et de former des apprentis. Ensuite parce que, dans les pays où l’apprentissage fonctionne bien, les référentiels de diplômes et les formations sont organisés par les entreprises et plus tournées vers les aspects techniques qu’en France.
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Les professionnels sont beaucoup plus impliqués dans le processus et, d’ailleurs, les jeunes passent trois fois plus de temps dans l’entreprise qu’en France. Ainsi, « en Allemagne, le jeune est un investissement pour l’entreprise, alors qu’en France, quand ils pensent apprentissage, beaucoup de patrons pensent en réalité coût du travail », déplore Bertrand Martinot, économiste, ancien délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle.
L’image de l’apprentissage en France, malgré les coûteux efforts déployés pour en faire la promotion, reste mauvaise : il continue à résulter d’une orientation par l’échec, alors qu’en Allemagne ce sont plutôt des bons élèves qui sont amenés dans cette voie. Le rôle de l’éducation nationale est ainsi pointé du doigt : peu soucieuse de valoriser l’apprentissage, l’institution préfère investir dans les lycées professionnels.
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Laisser plus de place aux nouveaux acteurs
Les files de taxis bloquant le périphérique parisien pour s’opposer à l’arrivée de nouveaux acteurs en est un exemple frappant : lorsqu’il s’agit d’économie, la France est malthusienne. « Les entreprises installées empêchent les entreprises jeunes de se créer et de croître », constate Francis Kramarz, directeur du Crest, professeur de sciences économiques à l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique et à Polytechnique.
Pourtant, la France regorge de start-up. Le problème n’est donc pas celui de l’initiative, mais celui de la croissance. « Or, poursuit Francis Kramarz, ce ne sont pas les toutes petites entreprises qui créent des emplois, mais les entreprises jeunes appelées à grossir ou à mourir. » Le manque de concurrence participe de cet assèchement : « Un certain nombre de métiers souffrent de blocages corporatistes, ce qui réduit les emplois potentiels », constate Stéphane Carcillo, qui souligne qu’« augmenter la concurrence ne coûte rien ». Des progrès sont accomplis dans ce domaine depuis quelques années, mais il reste encore beaucoup à faire dans certains secteurs.
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Rendre l’assurance-chômage plus incitative
Au risque de soulever l’ire des syndicats, plusieurs experts n’hésitent pas à avancer l’hypothèse que l’assurance-chômage est l’une des causes du maintien d’un chômage élevé en France. Non seulement la durée maximale d’indemnisation (24 mois sans dégressivité, 36 mois pour les seniors) est l’une des plus élevées au monde, mais encore n’encourage-t-elle pas assez la reprise d’activité. « Il apparaît que la France n’a pas un système de sanctions particulièrement sévère en cas de refus d’offre d’emploi ou de formation, notamment en comparaison des pays d’Europe du Nord », conclut Pierre Cahuc.
« Les gens ne devraient pas pouvoir tout refuser », affirme de son côté Francis Kramarz, qui estime que ce problème « a été résolu en Allemagne avec les lois Hartz [adoptées entre 2003 et 2005] ». Quant à l’arsenal de mesures (prévention, accompagnement…) qui doit permettre d’amortir les plans sociaux, l’économiste le trouve « plus néfaste qu’autre chose, car ces mesures nuisent à la pro-activité des salariés ».
L’idée n’est pas de démanteler l’assurance-chômage mais de mieux l’organiser et la répartir. En effet, elle ne bénéficie aujourd’hui qu’à un chômeur sur deux, car elle exclut les jeunes qui n’ont jamais travaillé et les seniors arrivés en fin de droits. Le dispositif pourrait aussi tenir compte du contexte global, par exemple en raccourcissant la durée d’indemnisation quand la situation économique s’améliore.
Simplifier et évaluer les dispositifs
Au fil des années et des plans, les dispositifs de lutte contre le chômage forment un système d’une extrême complexité, illisible. Et malgré l’existence du Conseil d’analyse économique, du Conseil d’orientation pour l’emploi, du Conseil économique social et environnemental et autres institutions chargées d’évaluer les politiques publiques, « on assiste, depuis quarante ans, à un va-et-vient de mesures sans aucune évaluation digne de ce nom », affirment Pierre Cahuc et André Zylberberg.
C’est d’autant plus regrettable que certaines mesures peuvent se révéler contre-productives. Comme le cas des emplois aidés dans le secteur non marchand, in fine « catastrophiques » pour les jeunes : deux ans après, les bénéficiaires ont moins de chances d’être dans l’emploi que les autres !
Les acteurs eux-mêmes (y compris les quelque 30 000 conseillers de Pôle emploi) s’y perdent. « Aujourd’hui, reconnaît Bertrand Martinot, pourtant ancien délégué à l’emploi et à la formation professionnelle, si un patron vient me voir, je suis incapable de lui donner le coût de son apprenti. » Une simplification drastique des aides s’impose, de même qu’un « arrêt sur image » pour analyser les dispositifs existants, conserver ou généraliser ceux qui fonctionnent et supprimer les autres.
Alors, va-t-on, en France, prendre le problème du chômage à bras-le-corps et s’attaquer, enfin, aux vraies difficultés ? Les experts ne semblent pas entrevoir le bout du tunnel. « On a trouvé un équilibre social qui peut durer encore quelques années, constate Bertrand Martinot. La preuve, la société n’a pas explosé. » Francis Kramarz va plus loin : « Les gens se bougeront quand on aura 20 % de chômage. D’ici là, il n’y a pas de raison que les élites ou la classe politique, qui ne sont pas touchées, sortent de leur indifférence. » Yannick L’Horty, lui, estime qu’« on n’a pas encore atteint le fond de la piscine » et rappelle qu’il a fallu que l’Irlande atteigne, en 1987, un taux de 20 points de chômage environ pour mettre sur pied un « pacte national ».
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Source Article from http://www.lemonde.fr/emploi/article/2016/01/17/ce-qu-on-n-a-jamais-essaye-contre-le-chomage_4848777_1698637.html
Source : Gros plan – Google Actualités