C’était le 2 avril 2013. Après quatre mois de mensonges face aux révélations de Mediapart, Jérôme Cahuzac met fin à « une lutte intérieure taraudante ». Sur son blog, l’ancien ministre du Budget avoue détenir un compte bancaire à l’étranger « depuis une vingtaine d’années », dont le solde est d’environ 600 000 euros. Son avocat, Jean Veil, précise alors que « l’essentiel de ses revenus provenait de son activité de chirurgien et accessoirement de son activité de consultant ».
C’est le début d’une longue enquête qui aboutira le 17 juin 2015 au renvoi devant la justice de quatre personnes, dont les époux Cahuzac, et d’une banque, Reyl, pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. Leur procès débute lundi 8 février devant le tribunal correctionnel de Paris. Cette enquête des juges Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke, résumée dans l’ordonnance de renvoi que francetv info a pu consulter, révèle nombre de détails, invalidant au passage les éléments avancés par l’ancien ministre pour sa défense.
Cinq comptes en vingt ans, dans trois pays différents
Dans l’affaire Cahuzac, il n’y a pas un compte, mais cinq. De 1992 à 2013, l’ancien élu socialiste a transféré ses avoirs cachés de compte en compte, dans un souci toujours plus grand de confidentialité. Le premier est ouvert à la banque UBS de Genève (Suisse) en novembre 1992 au nom de Philippe Péninque, un avocat proche du Front national agissant pour le compte de Jérôme Cahuzac. En un an, 3,2 millions de francs (soit 670 749 euros en 2015) sont versés sur ce compte.
Le 16 juin 1993, Jérôme Cahuzac ouvre un compte à son nom propre, pour prendre le relais du précédent. Il confie rapidement la gestion de ce compte à une petite banque méconnue, Reyl, plus discrète qu’UBS. En 1998, alors qu’il vient d’être élu député du Lot-et-Garonne, il ferme ce compte pour le transférer chez Reyl. De 1998 à 2009, Reyl va gérer les quelque 600 000 euros détenus par Jérôme Cahuzac en Suisse. Le 3 octobre 2000, dans une mise en garde prémonitoire, elle lui conseille même de ne plus y toucher « si sa situation politique devait évoluer ».
En 2009, le danger se rapproche. Sous pression, la Suisse s’apprête à modifier les règles entourant son opaque secret bancaire. « La banque Reyl m’a fait savoir que dès lors que ma volonté de discrétion était la même, la structure ne pouvait pas rester en l’état », confie aux juges Jérôme Cahuzac. La version de François Reyl est un peu différente : « Nous avons proposé Singapour à la demande de M. Cahuzac qui demandait une confidentialité accrue et un éloignement de la Suisse. »
Le montage, qualifié de sophistiqué par les juges, se fait en plusieurs temps, avec l’aide de l’avocat Philippe Houman, l’un des prévenus. Jérôme Cahuzac se rend à Genève et vire l’argent sur le compte d’une société panaméenne. Un compte est ouvert le 3 novembre 2009 à la Julius Baer de Singapour, au nom d’une société des Seychelles, Cerman Group Limited, dont le député est le bénéficiaire économique. « Par un jeu d’écriture, il bénéficiait de la protection renforcée que présente la place de Singapour tout en conservant le même interlocuteur, son banquier suisse », commentent les juges. Lors du transfert, les avoirs sont de 579 000 euros.
Aux pérégrinations de ce compte suisso-singapourien s’ajoute celui ouvert sur l’île de Man en 1997 avec son épouse, Patricia Cahuzac. « De 1997 à 2007, le compte ouvert à l’île de Man, je crois à la Bank of Scotland, a été alimenté uniquement par des chèques provenant de mes patients anglais », a expliqué aux juges cette dernière, qui gérait la clinique Cahuzac avec son mari. En 2007, alors que les relations conjugales se dégradent, celle qui a ouvert de son côté d’autres comptes suisses devient l’unique bénéficiaire du compte de l’île de Man.
De généreux laboratoires pharmaceutiques
D’où venait l’argent ? De son activité de chirurgien spécialiste des implants capillaires, a d’abord indiqué la défense de l’ancien maire de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne). Avant que l’intéressé ne modifie sa version devant les juges : il reconnaît avoir « travaillé pour des laboratoires après son départ du cabinet de M. Evin [le ministre de la Santé] en 1991 » et jusqu’en 1998. Pour les juges, les montants évoqués sont de toute façon « beaucoup trop élevés » pour être liés à sa seule activité de médecin. Ancien conseiller médicament, son expertise des démarches à accomplir pour obtenir l’autorisation de commercialiser un produit remboursé par la sécurité sociale était grassement rémunérée par les labos.
Invité à être plus précis, Jérôme Cahuzac a la mémoire qui flanche. Il ne donne qu’un nom, celui du laboratoire Pfizer, qui lui a versé 1 321 500 francs en 1993 (soit 276 998 en euros en 2015). « En dehors de ces deux virements (qui représentent 1,3 million de francs sur un total de 3,2 millions de francs), M. Cahuzac n’a fourni aucune explication sur l’origine des autres virements, si ce n’est qu’il a indiqué avoir travaillé pour d’autres laboratoires tels que Pierre Fabre, Roche, Sandoz, Upsa », regrettent les juges. Les perquisitions chez ces laboratoires, ainsi que dans le bureau du lobbyiste Daniel Vial, n’ont rien donné.
Elles n’ont pas permis de « caractériser » l’infraction de « perception par membre de profession médicale ou autorité sanitaire d’avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la sécurité sociale ». Cette charge est donc abandonnée, laissant planer le mystère sur l’origine des avoirs de Jérôme Cahuzac.
« Birdie » et ses livraisons de billets
Jérôme Cahuzac n’a pas beaucoup touché à ses avoirs cachés. L’ordonnance de renvoi ne fait aucune mention des rumeurs de financement politique d’une éventuelle candidature Rocard à la présidentielle de 1995. Les quelques dépenses relevées par les juges semblent personnelles. En juin 2003, il fait un virement de 106 715 euros pour rembourser « un tiers qui lui avait avancé de l’argent pour un investissement en France ». Fin décembre 2004, il retire 18 000 euros pour « des vacances à l’île Maurice ». Trois ans plus tard, c’est pour aller aux Seychelles qu’il débloque 6 000 euros.
En 2010 et en 2011, il se fait livrer des espèces « dans la rue » à Paris. Comme il le fait à chaque fois qu’il appelle Reyl, Jérôme Cahuzac se présente comme « Birdie », un terme de golf pour indiquer que le joueur a un coup d’avance sur le nombre de coups prévus pour terminer un trou (le par). « Courant 2011, (…) il a parlé à un des employés de la banque et a demandé à faire effectuer un retrait de 20 800 euros, raconte François Reyl aux juges. Notre employé a appelé le signataire autorisé sur le compte, Maître Houman, qui a donné I’instruction de mise à disposition de cette somme au guichet de Julius Baer à Genève. Cet employé s’est présenté à Julius Baer pour retirer I’argent et l’a remis à Genève à un tiers qui l’a remis à Jérôme Cahuzac à Paris. » Il ne donne pas le nom de ce mystérieux intermédiaire.
Des sommes versées sur les comptes de sa mère
Jérôme Cahuzac n’a pas simplement caché son argent à l’étranger. Les juges le soupçonnent d’avoir utilisé les comptes de sa mère de 2003 à 2010 pour dissimuler certains de ses revenus. Pendant cette période, « de très nombreux chèques » sont encaissés sur les deux comptes de sa mère pour un total de 213 900 euros. Ils pourraient correspondre à l’activité de médecin de son fils, « certains chèques portant le libellé ‘Dr Cahuzac' ». Des revenus non déclarés, une autre façon, plus artisanale, de frauder le fisc.
Outre ces entrées suspectes, les enquêteurs relèvent des débits « atypiques » : une dépense de 1 351,32 euros en mai 2007 à Singapour, des chèques pour deux voyagistes (37 754 euros), pour l’hôtel Ermitage (127 107,85 euros), les sociétés Piscines de France et Piscines de France Porto-Vecchio (43 000 euros) ou un constructeur de bateaux de plaisance, Figari Nautic (6 000 euros). Interrogée par les enquêteurs, la mère de l’ancien ministre tombe des nues. Elle ne reconnaît ni ces dépenses, ni ces rentrées d’argent. Son fils lui, n’a pas fourni « d’explication satisfaisante » sur ce point aux juges. Pour l’ensemble de ces faits, Jérôme Cahuzac risque une peine allant jusqu’à sept ans de prison et deux millions d’euros d’amende.
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Source : Gros plan – Google Actualités