Dans la fable de la téléphonie mobile européenne, les deux commissaires Joaquín Almunia, en charge de la Concurrence, et Neelie Kroes, chargée de l’Économie digitale, jouent le rôle des matous que l’épicière – les États membres – a fait entrer dans leur réserve pour éviter que les souris – les opérateurs de téléphonie mobile – ne mangent la laine sur le dos de leurs clients : vous et moi, accros au téléphone portable et autres connexions mobiles. Ils mènent ce qu’il faut bien appeler – n’en déplaise aux ténors politiques français – une politique industrielle européenne. Leur tâche est ardue : s’assurer que le marché européen se développe sans que les prix explosent.
Jusqu’à présent, leur stratégie n’a que modérément réussi. Les marchés restent éminemment nationaux, les appels internationaux prohibitifs et l’offre de moins bonne qualité que dans le reste du monde industrialisé. Sous la pression de la concurrence mais aussi parce que les nouveaux services de la téléphonie très haut débit – la 4G – tardent à se développer, le chiffre d’affaires de l’industrie mobile en Europe diminue. À la fin de 2012, moins de 1 % des télécommunications mobiles en Europe étaient en 4G, contre 11 % aux États-Unis et en Corée du Sud. À la fin de 2013, nous serons à 2 %, les Américains, à 20 %.
Surtout, les industriels européens sont en train de tomber comme des mouches… sous les crocs d’investisseurs ou de concurrents étrangers. L’annonce du rachat de Nokia Device par Microsoft est « un des signes de faiblesse de l’écosystème » en Europe, juge Anne Bouverot, qui dirige à Bruxelles GSMA, le lobby des opérateurs de téléphonie mobile. Le singapourien Hutchinson et le Mexicain Carlos Slim eux aussi font leur marché sur le Vieux Continent.
Joaquín Almunia le reconnaissait récemment dans La Tribune : « Si l’on ne peut avancer vers un marché unique européen dans les télécoms, on aura de plus en plus de visiteurs étrangers. Parce qu’ils peuvent considérer qu’ici on peut faire de bonnes affaires. »
Alors, comment faire ?
Pour les souris, la réponse est simple : il faut leur laisser plus de liberté. Pour se regrouper, d’abord. GSMA demande un assouplissement de la politique européenne de la concurrence. Mais surtout pour investir. Il faudrait par exemple des licences d’exploitation des bandes de fréquence et un régulateur paneuropéen. C’est là que la stratégie de l’épicière trouve ses limites. Elle a les yeux rivés sur le tiroir-caisse. Et si elle veut bien que les chats fassent la police dans sa boutique, elle veut surtout continuer à tirer la plus grande rente possible de sa manne : les fréquences qu’elle attribue à prix d’or.
Pour sortir par le haut de ce dilemme, il faudrait qu’elle accepte de laisser les chats, sinon tenir la caisse, au moins revoir ce qu’elle a en rayon. Faire moins de chiffre sur le spectre mais plus sur les taxes prélevées sur les services de téléphonie dont le potentiel de développement est colossal, telle est la recette qu’ils lui conseillent. Pour l’instant, elle n’y est pas prête.
Source Article from http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20130923trib000786540/le-chat-la-souris-et-l-epiciere-la-fable-des-telecoms.html
Source : Gros plan – Google Actualités