Le 9 avril 1948, Juan Roa Sierra, un obscur maçon issu des banlieues perchées sur les sommets qui surplombent Bogota, assassine le candidat des libéraux à la présidentielle, Jorge Eliécer Gaitán. Rapidement rattrapé et taillé en pièces par la foule, l’embrasement populaire saisit soudain l’ensemble de la capitale alors que les radios émettent des appels au massacre des conservateurs, coupables désignés de du meurtre. En une dizaine d’heures, environ 5.000 personnes sont tuées et le centre-ville est totalement dévasté. Dans la dizaine d’années qui suivront, la « Violencia », guerre civile entre libéraux et conservateurs verra périr entre 200.000 et 300.000 personnes, avant que l’émergence des trafiquants dans les années 1970 ne substitue à ce déchainement de haines sociales la terreur des cartels et des groupes paramilitaires.
La paix, d’abord
« Paix, Egalité et Education » : pas très étonnant dans ces conditions que le nouvellement réélu président Juan Manuel Santos liste dans cet ordre ses priorités pendant son discours inaugural. Alors que les FARC ont rendu leurs otages et se sont enfin assis à la table des négociations, et que les diverses milices semblent sur le point d’être désarmées, la Colombie commence désormais sérieusement à débattre de la mise en place des commissions d’enquête sur les massacres des dernières décennies.
Baisse des homicides, vers la niveau brésilien
De 70 homicides pour 100.000 habitants en 1991, ce ratio flirte aujourd’hui avec la barre des 30 pour 100.000, se rapprochant avec rapidité de la moyenne brésilienne (25 pour 100.000). Parallèlement, le retour d’importantes cultures de coca en Bolivie et au Pérou réduit la prégnance des cartels locaux, leurs sources de revenus étant considérablement réduites par la « concurrence » de ces nouveaux centres de production, permettant au gouvernement de promouvoir des substitutions pour les agriculteurs (café par exemple) et de réintégrer dans la société civile les membres des milices urbaines. Même si la situation sécuritaire est toujours loin d’être satisfaisante, la stabilisation en cours permet enfin au pays de faire fleurir son énorme potentiel économique.
La croissance la plus élevée du continent
La Colombie dispose en effet d’atouts considérables sur ses voisins régionaux. En excellentes relations avec les Etats-Unis (un partenaire incontournable dans la zone), avec une ouverture sur deux océans et des matières premières au cours relativement stable ces dernières années (pétrole et charbon principalement), le pays dispose d’un socle solide sur lequel construire son développement. L’inflation y est très faible – pour des standards sud-américains -, et le pays vante le taux de croissance le plus élevé du continent. Loin des excès de ses voisins vénézuélien et équatorien, naviguant à vue dans des systèmes économiques incohérents (dans le cas de Mr. Correa) ou simplement ineptes (pétro-marxisme chaviste), la Colombie tente de faire valoir ses atouts agraires, industriels et touristiques auprès des multinationales et des pays développés, cherchant à développer une économie diversifiée et ouverte sur les marchés mondiaux tout en luttant contre des inégalités qui restent dramatiques, même selon des standards sud-américains.
Une impressionnante stabilité fiscale
Mais la Colombie fonde surtout son attractivité actuelle sur son impressionnante stabilité fiscale, pilotée de main de maitre par Mauricio Cardenas, l’incontournable atout de l’équipe ministérielle de M. Santos. Issu de la prestigieuse Brookings Institution – après un master à Berkeley -, M. Cardenas a dès sa nomination en 2012 centré son mandat sur la remise à plat du système fiscal et des défiscalisations pour les investisseurs étrangers. Véritable star de la finance dans un continent rongé par des politiques fiscales imprévisibles et rarement cohérentes, M. Santos a annoncé très symboliquement la reconduction de son bras droit au cours d’un déjeuner d’affaires de Goldman Sachs à Miami, confirmant la volonté du pays de s’orienter vers la réforme en profondeur du pays, et le nivellement des contraintes à l’investissement pour les capitaux étrangers.
Renaissance du tourisme
La renaissance du tourisme ces dernières années est un exemple d’ouverture réussie. Centrés sur la riche clientèle latino-américaine et sur les clients européens ou américains, les centres commerciaux flambant neuf de Bogota et de Medellin rivalisent de déco art moderne et de restaurants européens pour attirer le chaland fortuné. Le retour en grâce des villes côtières comme Barranquilla permet également un partage de la manne de l’héliotropisme qui profitait auparavant presque exclusivement à Cartagena. L’amélioration continue des conditions sécuritaires permet de pérenniser cette rentrée de devises tout en créant les conditions nécessaires à la mise en place de pôles économiques déjà dotés en infrastructures.
Une monnaie qui s’évalue trop vite
Mais cette montée en grâce est aussi douloureuse. Après l’ouverture en grande pompe par J.P. Morgan d’un compte de 200 milliards de dollars exclusivement dédié à la gestion de projets dans le pays, de nombreux index ont réévalués leurs ratios sur le pays (notamment dans le domaine des obligations), déversant brusquement d’immenses quantités de devises étrangères dans le pays. Le fragile peso, qui s’échangeait en mars à deux pour un dollar a franchi quelques temps en juillet la barre des 1,85, la proportion d’obligations détenue par des étrangers passant de 6,5% à 12,5%. Décrite par Cardenas comme « la mère de tous les problèmes », cette hausse a un impact dramatique sur les exportations, notamment pour les agriculteurs. Le gouvernement a pour l’instant répondu en augmentant progressivement ses achats de dollars (30 millions par jour actuellement d’après Bloomberg), mais si la hausse se poursuit, une dévaluation du peso peut devenir une éventualité.
Faiblesse du système éducatif et des infrastructures
La faiblesse du système éducatif et des infrastructures (malgré des progrès notables en matière autoroutière récemment sous la direction d’une ancienne « tête » de McKinsey) continue également de peser sur l’économie. Mêmes sur les grands axes, la circulation peut-être considérablement diminuée après de fortes pluies, alors que dans les campagnes, les ânes et les canoés sont parfois des alternatives préférables aux transports motorisés. La baisse ces derniers mois du prix du pétrole a eu un impact notable sur la performance des exportations du pays, rappelant sa dépendance au cours des matières premières. Les universités restent peu financées par l’Etat, et peinent à produire les compétences nécessaires à l’essor économique du pays, la Colombie ne possédant que deux établissements supérieurs dans le top 20 du continent (Universidad de Los Andes #5 et Universidad Nacional de Colombia #14). D’après le Financial Times, 60% des étudiants cherchant à rentrer dans le supérieur ne peuvent s’y insérer faute de place, et ceux ne pouvant s’offrir un diplôme dans une université privée sont donc laissés sur le carreau.
Le plus anglo-saxon des pays d’Amérique du Sud
Malgré des défis considérables, la jeunesse de Bogota peut désormais considérer sérieusement de rester en Colombie quand la génération précédente cherchait à s’enfuir d’un pays plombé par la violence. Le plus anglo-saxon des pays d’Amérique du Sud semble de fait lancé sur une trajectoire ascendante alors que le Brésil s’enfonce dans la stagflation, et que le Mexique doit encore convaincre sur ses – certes encourageantes – réformes. Après 50 ans de guerres larvées, difficile de ne pas croire en l’enthousiasme d’un pays qui s’est trop détruit dans le passé pour maintenant laisser passer sa chance.
Source Article from http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140829trib49939e82b/la-colombie-le-plus-anglo-saxon-des-pays-d-amerique-du-sud.html
Source : Gros plan – Google Actualités