« Nous n’avons jamais été plus fiers de notre fils. Il a donné sa vie en essayant de montrer au monde les souffrances du peuple syrien. » Par ces mots poignants la mère du journaliste américain James Foley maintenait vivant, mardi soir, le souvenir de son fils dont l’exécution venait d’être annoncée par l’Etat islamique.
Adressée à Barack Obama en personne, cette vidéo de 4:40 minutes, diffusée sur Youtube dans laquelle les djihadistes ont mis en scène la décapitation du reporter, a sauvagement rappelé au monde que le photographe était depuis plus de 600 jours captif en Syrie.
600 jours sans opération médiatique, sans manifestation, sans aucune autre démarche qu’un site dédié. Comment se fait-il que cet otage soit resté ainsi oublié? Passé sous silence ? Contrairement à ce que certains autres cas pourraient laisser penser, et en particulier en France où l’on a plutôt l’habitude de communiquer sur les enlèvements de journalistes, dans d’autres pays, et notamment aux Etats-Unis, les autorités préfèrent garder sous silence les cas de ressortissants enlevés en zone de guerre.
Une vingtaine d’otages
Le Comité de protection des journalistes américain relève que la Syrie est devenue le pays le plus dangereux pour les journalistes ces deux dernières années avec au moins 69 professionnels tués et plus de 80 enlevés avec de fréquentes exécutions. Le CPJ souligne en outre que certaines d’entre-elles n’ont pas été révélées par les pouvoirs publics.
Le Comité, qui dénonce le « meurtre barbare de James Foley », estime aujourd’hui le nombre de journalistes retenus à une vingtaine sans qu’aucun chiffre précis ne puisse être connu « du fait de ce black-out » maintenu notamment par les Etats-Unis.
Des journalistes étrangers libérés ces derniers mois ont affirmé avoir été retenu avec des confrères dont ils avaient découvert l’enlèvement une fois séquestrés avec eux dans le nord de la Syrie. Et lors de la libération des Français Didier François et Edouard Elias en avril dernier, la mère de James Foley, Diane, était venue à Paris pour interroger les Français, savoir s’ils avaient pu avoir des nouvelles de son fils.
L’absence de communication des Etats-Unis quant aux journalistes enlevés semble totale.
Opération de communication
Pour Washington, la règle est claire : « aucune négociation » avec les ravisseurs. Les spécialistes de la question s’accordent à dire qu’un otage médiatisé est un otage dont le prix augmente dans les négociations pour obtenir sa libération. L’hebdomadaire allemand « Focus » avait affirmé en avril que la France avait versé 18 millions de dollars (environ 13 millions d’euros) pour obtenir la libération des journalistes français. Les Etats ne sont donc jamais très partants pour une forte médiatisation. Mais le frein n’est pas qu’une question d’argent.
Les pays dont des ressortissants ont été enlevés redoutent de voir les ravisseurs pouvoir avoir un poids sur leur politique. Ce que souhaite justement l’EI avec cette vidéo de James Foley envoyée mardi soir.
Car ces images sont non seulement choquantes et brutales, mais elles participent, surtout, à une opération de communication minutieuse destinée à véhiculer le message de l’EI par delà les frontières.
Faire passer un message
Les 4:40 minutes de la vidéo ne correspondent pas au simple assassinat du journaliste. Le film débute en fait avec un court discours du journaliste dont les derniers mots, humiliants, clairement écrits par les militants de l’EI, accusent les Etats-Unis, et son frère, militaire de carrière, d’être coupable de sa mort prochaine.
La vidéo se poursuit avec un second discours. Celui, cette-fois, d’une sorte de geôlier de James Foley. L’homme cagoulé accuse lui-aussi les Etats-Unis d’être responsables du meurtre à venir du journaliste. Mais son discours vise avant tout à faire reconnaître l’EI comme un Etat : « Vous ne combattez plus une insurrection, nous sommes une armée islamique et un Etat », dit-il, espérant que son message à l’adresse de Barack Obama fera le tour du monde. Pour les tortionnaires du journaliste, ce dernier, à défaut de rapporter une somme confortable contre sa libération, aura servi à médiatiser leur message à Obama : « L’Etat islamique existe, cessez vos frappes ».
Un usage nouveau des otages contre lequel le seul moyen d’agir serait de ne pas le relayer. D’autant que les djihadistes ont l’air bien décidés à peser plus avant dans la politique américaine en Irak. La vidéo s’achève en effet avec l’image d’un autre journaliste, Steven Sotloff, menacé d’un couteau dans les mêmes circonstances que Foley. Avec cette menace : « La vie de ce citoyen américain, Obama, dépend de votre prochaine décision ».
Céline Lussato – Le Nouvel Observateur
Source Article from http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140820.OBS6747/james-foley-pourquoi-les-americains-ne-mediatisent-pas-les-prises-d-otages.html
Source : Gros plan – Google Actualités