« Ne jamais croire un Grec, surtout s’il t’amène un présent. » Ces mots tirés de l’Énéide, déposés par Virgile dans la bouche de Laocoon qui ne voulait pas laisser entrer le cheval de Troie, sonnent comme un avertissement. Ne jamais croire un Grec… Cet Alexis Tsipras est apparemment un grand malin, un manipulateur professionnel qui a appris à mentir pendant sa rude formation aux Jeunesses communistes, le dernier parti stalinien d’Europe, mais c’est aussi un fin politicien doublé d’un metteur en scène médiatique de talent. Le voir faire chanter les dirigeants européens, les faire danser le sirtaki, les faire monter au cocotier comme des chimpanzés apeurés, les rudoyer devant son peuple hilare… c’est du grand art ! Jean-Luc Mélenchon, l’homme qui adore admirer ses propres incantations, l’a reconnu comme l’un des siens, et Hugo Chavez, qui a eu le temps de ruiner son pays avant de mourir, l’aurait certainement adoubé.
Fin de l’horreur, horreur sans fin
Voyons de plus près ce scénario du retour à la drachme : pendant une dizaine d’années, les Grecs se sont gavés d’euros en empruntant à tout-va quasiment au même taux que les Allemands, consommant plus de 200 milliards d’euros entre 2001 et 2010 et triplant leur dette publique pour la porter à 350 milliards. Or la Grèce est un petit pays de 11 millions d’habitants dont le PIB atteignait alors à peine 230 milliards. Lorsque les Européens se sont aperçus du désastre, en 2011-2012, ils ont fermé l’open-bar, puis ont commencé par annuler 100 milliards de créances, mais ont continué à subventionner le pays pour l’aider à s’en sortir. Sauf qu’ils n’ont pas su obtenir, en échange, la moindre réforme sérieuse. Tsipras sait que la Grèce ne remboursera jamais le tombereau de dettes, même quelque peu aminci, que ses prédécesseurs lui ont laissé. Ses concitoyens, eux, ayant « le choix entre la fin de l’horreur et l’horreur sans fin » (proverbe allemand), la faillite devenait inévitable. Autant l’organiser.
Trésor de guerre
C’est là où le scénario devient absolument passionnant selon l’économiste Charles Gave, qui, le premier, a flairé le pot aux roses en réfléchissant à partir de l’adage bien connu : si vous devez 100 000 euros à votre banquier, vous avez un problème. Si vous lui devez 200 ou 300 milliards, c’est lui qui a un problème ! « La BCE est donc, dit-il, dans une situation où elle perd si elle arrête les financements, car cela forcerait la Grèce à sortir de l’Europe, et elle perd aussi si elle ne les arrête pas. » Alexis Tsipras, la décontraction hautaine et le sourire narquois, pendant qu’il occupe les médias avec des sautes d’humeur surjouées et qu’il amuse la galerie européenne, organise en sous-main la constitution d’un trésor de guerre que les autorités internationales ne pourront pas saisir. Charles Gave : « Logiquement, il aurait dû installer, comme à Chypre, des contrôles des changes, des contrôles des capitaux et que sais-je encore pour garder le peu de devises qu’il avait. Or, qu’est-ce que je constate ? Les déposants grecs peuvent librement transférer de l’argent de leur compte en Grèce à n’importe quel compte étranger [à leurs cousins en Australie, en Allemagne ou aux USA…], ou, s’ils n’ont pas de cousin, ils peuvent transformer leurs dépôts en billets de banque et les garder chez eux. »
Calendes grecques
Pendant que les médias audiovisuels européens, à voir les mines déconfites de leurs commentateurs à la langue de bois longue comme un jour sans pain, se délectent des malheurs supposés de « ces pauvres Grecs qui n’ont plus rien à manger puisqu’ils n’ont pas de quoi payer leurs achats, les distributeurs automatiques étant vides ou fermés », et pendant que tout ce que Paris compte de trotskos et de bobos se rue sur les antennes d’État et les chaînes d’info pour se plaindre des gémissements télévisés du petit peuple d’Athènes, pendant ce temps-là, donc, le trésor de guerre se constitue petit à petit, dans la coulisse. La masse monétaire grecque s’effondre officiellement. En réalité, une grande partie de cette masse monétaire s’est déjà déversée aux États-Unis, en Allemagne, en Australie et en lieu sûr, dans des coffres ou des boîtes à chaussures. Cela fait longtemps, plus de deux mille ans, que dure cette comédie, plus précisément depuis l’an 45 avant Jésus-Christ, lorsque Jules César inventa le calendrier romain. Les calendes désignaient les premiers jours de chaque mois, pendant lesquels les débiteurs devaient payer leurs dettes. Les Grecs étaient connus pour payer leurs dettes « aux calendes grecques ». En France, on dirait « à la saint-glinglin » !
Le sale gosse de l’Europe
Ce gros malin de Tsipras, qui sait s’y prendre pour jouer le sale gosse de l’Europe et faire peur aux petits marquis poudrés de la nomenklatura bruxelloise, a tout intérêt à faire durer le plaisir avant de déposer le bilan de son pays : tant que la Banque centrale européenne réescompte les bons du Trésor qui lui sont présentés par les banques commerciales grecques, la machine à augmenter le trésor de guerre souterrain peut continuer à fonctionner. Quand la musique s’arrêtera comme sur le Titanic, la Grèce fera défaut sur 300 milliards, dont une grosse partie – on parle de 100 milliards d’euros avancés par la BCE à la Banque centrale de Grèce – se retrouvera dans des coffres-forts en Grèce ou en dehors du pays. Et quand on reviendra à la drachme, qui perdra aussitôt 50 % de sa valeur initiale, l’économie locale « repartira comme une fusée » avec un énorme afflux de devises et de touristes du monde entier, lesquels débarqueront en masse après cette fabuleuse et gratuite campagne de publicité et paieront leurs vacances en Grèce deux ou trois fois moins cher qu’en Espagne, en Italie ou en France.
Alexis Tsipras, qui a sans doute, en plus, trafiqué les résultats de son référendum/plébiscite lancé à la va-vite pour ne pas avoir d’observateurs étrangers sur le dos – de toute façon, « les dindes votent rarement pour Noël » (proverbe américain) –, n’aura plus alors qu’à se rapprocher de Poutine, Obama et Xi Jinping. Avec le Russe Poutine pour lui acheter une île et une grande base militaire face à la Turquie ainsi que le passage d’un oléoduc. Avec l’Américain Obama, qui est prêt à payer pour que la Grèce reste dans l’Otan. Avec le Chinois Xi Jinping, déjà propriétaire du port d’Athènes, pour lui vendre d’autres ports et quelques concessions diverses. Il pourrait même chercher à s’entendre avec les Européens pour reporter sa dette aux calendes grecques ! Quel scénario ! On va très vite savoir si ces Grecs nous ont roulés dans la farine. S’il y a bien une chose qu’ils savent faire, c’est mener les gens en bateau. Leurs armateurs sont les meilleurs et les plus malins du monde depuis la nuit des temps. L’épée du Grec Damoclès flotte maintenant au-dessus de l’Europe…
Source Article from http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-nouailhac/et-si-la-grece-nous-menait-en-bateau-depuis-le-debut-09-07-2015-1943324_2428.php
Source : Gros plan – Google Actualités