En ce début d’année, le travail des lobbys de notaires a défrayé la chronique : 2 383 des 3 194 amendements au projet de loi Macron, du nom du ministre de l’économie Emmanuel Macron, étaient le fruit d’une vaste opération de lobbying.
Les 174 députés signataires de ces amendements avaient en effet été aidés dans leur démarche par le Conseil supérieur du notariat. Travail de sape efficace puisque le dispositif d’encadrement des tarifs des professions du droit, disposition la plus menaçante de la loi selon les notaires, n’a finalement pas été intégré au texte.
Cette activité de lobbying n’a été révélée que parce que, très agressive, elle a été dénoncée par plusieurs députés exaspérés. Le ministre avait par ailleurs dit avoir reçu des « menaces de mort de certains officiers publics ministériels », catégorie dont font partie les notaires.
Lire : Le lobbying « sans précédent » des notaires contre la loi Macron
Peu de barrières légales en France
Transparency International rappelle sur son site que, « pendant la dernière campagne présidentielle, François Hollande s’est engagé à « encadrer le lobbying à tous les niveaux de la décision publique et faciliter la participation des citoyens et de la société civile » ».
Un premier pas a été franchi, reconnaît l’association, avec la signature par les membres du gouvernement d’une charte de déontologie. Celle-ci pose comme règle la consultation des partenaires institutionnels et du grand public sur Internet et fait de l’open data une règle de gouvernement.
Transparency International France souligne toutefois que cette charte « n’a pas de valeur juridique, que les modalités de contrôle n’ont pas été précisées et, enfin, qu’elle ne s’applique pas aux collaborateurs des ministres (ou dans des conditions qui ne sont pas connues) ».
Concrètement, les lobbyistes peuvent aujourd’hui contacter comme ils le souhaitent un acteur public, l’inviter à déjeuner et lui soumettre des arguments sur un sujet en discussion au Parlement ou au gouvernement.
Seules restrictions, pour accéder à certaines salles de l’Assemblée ou du Sénat, il faut s’inscrire sur un registre. Ainsi, depuis 2009, on obtient un badge pour circuler librement au Palais Bourbon en remplissant un formulaire assez succint, rendu public sur le site Internet de l’Assemblée. La procédure est la même pour le Sénat, mais on ne peut voir les déclarations que sur une période restreinte (lien vers un fichier .xls).
Des lobbys efficaces
Pour améliorer cet effort de transparence, François Hollande a annoncé, lors de ses vœux aux corps constitués et aux bureaux des Assemblées, avoir confié à Michel Sapin, ministre des finances, l’élaboration d’un projet de loi qui devrait être présenté avant l’été.
Nous n’avons pas obtenu davantage d’informations auprès du ministère. Mais le rapport Nadal (du nom du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Jean-Louis Nadal) pourrait inspirer la création d’un grand registre consultable sur Internet, réunissant toutes les démarches des « représentants d’intérêt », y compris auprès du gouvernement, et de façon obligatoire.
Michel Sapin connaît bien le sujet du lobbying puisqu’il a promu une loi « à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques » il y a vingt ans – quand il était à Bercy, en 1993, sous Bérégovoy.
Une loi Sapin 2 serait pourtant nécessaire car Bercy ne brille pas toujours par sa résistance aux arguments des lobbyistes. En octobre, après quelques jours de lobbying patronal intense, le gouvernement a décidé de renoncer à soumettre certains dividendes au paiement de cotisations sociales.
De même, la taxe sur le trading haute fréquence a fini par être abandonnée : le rapporteur de la commission des finances, auteur de l’amendement qui introduisait cette taxe (Christian Eckert, aujourd’hui secrétaire d’Etat au budget) ayant retiré son texte après une bronca de la corporation financière. La taxe sur les transactions financières a également été torpillée par Bercy et repoussée aux calendes bruxelloises.
Lire notre enquête : Comment les lobbys détricotent la taxe sur les transactions financières
Quant à la loi de séparation des activités bancaires (afin d’isoler les activités les plus risquées), elle a été vidée de sa substance : Christophe Nijdam, secrétaire général de l’association Finance Watch, estime ainsi que l’impact de la loi française représentait moins de 0,5 % du chiffre d’affaires des banques concernées.
Une activité qui concerne tous les bords politiques
Autre exemple, lors de la discussion du projet de loi contre le terrorisme, qui impliquait de mettre à contribution les fournisseurs d’accès à Internet, ces derniers se sont activés pour arrondir les angles de l’article les concernant, notamment en envoyant des amendements clé en main repris tels quels par certains députés.
Lire : Loi antiterrorisme : les lobbys des télécoms ont l’oreille des députés
Pour Tangui Morlier, administrateur du collectif Regards citoyens, « la grande majorité des amendements viennent des administrations de l’Etat ou des lobbys », et ce dans tous les domaines du législateur : « Les parlementaires, qui disposent de ressources humaines limitées, n’ont pas les moyens d’écrire des amendements qui tiennent la route juridiquement. »
« Dans une démocratie, ajoute-t-il, il est normal que les entreprises fassent part de leur point de vue. Mais il faudrait plus de transparence, et que députés et sénateurs cessent de faire perdurer le mythe d’un parlementaire qui écrit lui-même ses amendements. »
En Europe, la question de l’encadrement du lobbying progresse : l’instauration de nouvelles règles de transparence par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a permis au registre de s’enrichir de nouvelles déclarations. C’est encore trop peu : le registre européen comptait environ 8 000 entités enregistrées au 13 mars sur les 30 000 lobbys estimés à Bruxelles.
Lire (édition abonnés) : Bruxelles, paradis des lobbys
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Source : Gros plan – Google Actualités