Ils sont français, champions du monde, et ils défendront leur titre lors des Mondiaux de Boston (Etats-Unis), qui se déroulent jusqu’au 3 avril. Pourtant, il y a de grandes chances que vous n’ayez jamais entendu parler du couple Gabriella Papadakis-Guillaume Cizeron. Comment expliquer ce déclin du patinage artistique, qui déplaçait les foules il y a encore une vingtaine d’années ?
Les têtes d’affiche n’ont pas été remplacées
Le 23 février 1994, la finale olympique de l’épreuve dames de patinage artistique rassemble 48,5% du public américain, devenant le troisième évènement sportif le plus regardé de l’histoire outre-Atlantique, derrière deux SuperBowls du début des années 1980. Pas mal pour un programme… diffusé en différé, décalage horaire avec la Norvège oblige. Les mordus connaissent déjà le résultat, en ayant suivi l’épreuve à la radio. Le grand public vient, appâté par l’odeur du sang, comme dirait Raymond Domenech.
Quelques mois plus tôt, les deux vedettes du patinage américain se sont retrouvées mêlées à une rocambolesque affaire : l’ex-mari de Tonya Harding a brisé les genoux de sa rivale Nancy Kerrigan, lors d’un entraînement à Portland. Kerrigan a réussi à se remettre pour les Jeux, Harding attend son jugement, et l’Amérique est fascinée par leurs retrouvailles sur la glace. Ceux qui ont choisi de ne rien savoir restent captivés jusqu’au bout : Kerrigan rate l’or pour un dixième de point.
Le milieu des années 1990 coïncide aussi avec l’âge d’or du patinage français. Avec des personnalités fortes : Philippe Candeloro, Surya Bonaly, Paul et Isabelle Duchesnay, et un peu plus tard Brian Joubert et le couple Marina Anissina-Gwendal Peizerat. C’est l’époque où la presse gobe l’incroyable histoire de Surya Bonaly, enfant retrouvée échouée sur une plage de La Réunion, abandonnée par ses parents biologiques. Foutaises inventées de toutes pièces par le président de la fédération, Didier Gailhaguet. « Les journalistes ont adoré », s’amuse-t-il alors, cité dans Sports Illustrated (en anglais). L’époque où l’argent coule à flots, aussi. D’après Libération, TF1 dégaine un chèque à sept chiffres pour convaincre Surya Bonaly de ne pas passer professionnelle – à l’époque, il faut demeurer amateur pour participer aux grandes compétitions.
Le système de notation est incompréhensible
Tout s’écroule en 2002, après le scandale d’échange de notes aux Jeux de Salt Lake City. Les Russes et les Français s’arrangent pour gonfler les notes de leurs concurrents. L’affaire entraînera l’abolition du système des juges nationaux attribuant une note allant jusqu’au mythique 6.0. Place à un système de notation plus technique, moins compréhensible pour le grand public, et qui récompense davantage la technique et moins l’artistique. « Notre sport est devenu un dinosaure », commente Ashley Wagner, restée célèbre pour cette grimace en découvrant sa notation aux Jeux de Sotchi.
« Désormais, les scores arrivent mystérieusement, et n’ont plus de rapport avec ce que le public a vu sur la glace, dénonce l’économiste Eric Zitzewitz, auteur d’une étude sur le nouveau système, cité par le Chicago Tribune (en anglais). La réforme a permis de calmer le débat sur l’impartialité des juges, mais n’a pas amélioré la justice des résultats. »
Conséquence inattendue du nouveau système de notation : les champions tentent des gestes de plus en plus compliqués… et se blessent de plus en plus. Le grand public ne retrouve pas les mêmes têtes d’une compétition à l’autre. Un règne à la Michelle Kwan, cinq titres mondiaux et neuf titres américains, « appartient au passé désormais », estime l’ancienne patineuse Chloe Katz dans The Economist (en anglais).
C’est un sport devenu quasi confidentiel…
Le président de la fédération des sports de glace est un patineur de vitesse, qui explique crûment à Newsweek : « Je n’y connais rien en patinage artistique. » Au point qu’il sèche les Mondiaux de 2013, disputés à London (Canada). Une compétition qui se déroule devant des tribunes clairsemées, et dont l’unique canal de diffusion pour le public américain est une web-TV lituanienne, dénichée par un membre du staff, raconte USA Today (en anglais).
Aseptisé, le patinage artistique ? Un peu, sûrement. Quand le patineur américain Jeremy Abbott fait mine de se tirer une balle dans la tête lorsqu’il découvre son score dans la fameuse kiss & cry zone, il déclenche un torrent de protestations (à 8 min 35 sur la vidéo). « La fédération m’a demandé de me tenir », commente-t-il.
Dans les années 1990, une Nancy Kerrigan pouvait lâcher, sans qu’on le lui reproche, « j’ai envie de mourir » au même endroit et quitter les lieux sans un regard pour la petite fille qui lui tendait un bouquet de fleurs. « Ce sont des moments de télévision comme ça qu’il faut », regrette le double champion olympique Dick Button, devenu commentateur, dans le New York Times (en anglais).
… sauf en Asie
Pour les stars de la glace, en perte de vitesse aux Etats-Unis et en Europe, l’Asie fait figure d’eldorado. Au premier rang, la Corée du Sud, qui a élevé la patineuse Kim Yuna au rang d’icône. Cette incroyable championne, qui n’a jamais fait moins bien qu’un podium, a tiré sa révérence à 23 ans, après les Jeux de Sotchi. En Russie, elle a dû se contenter d’une médaille d’argent alors que sa performance a été unanimement saluée comme la meilleure. Une pétition demandant qu’on lui donne la médaille d’or a rassemblé 1,8 million de signatures en quelques heures, faisant crasher les serveurs de Change.org.
Dans un pays qui n’avait jamais gagné de médaille aux JO d’hiver ailleurs qu’en patinage de vitesse, tout ce que touche Kim Yuna se transforme en or. Son drama, feuilleton télévisé très populaire en Corée, ses chansons avec les vedettes de la K-Pop, ses deux livres… et même les mémoires de sa mère, devenus un best-seller en quelques jours, note le Wall Street Journal (article payant, en anglais). La pression sur les épaules de Park So-Youn, 18 ans, présentée comme son héritière, est énorme. D’autant plus que les prochains Jeux olympiques auront lieu au pays, à Pyeongchang, en 2018.
Le Japon voisin est devenu en quelques années une place forte de la discipline, chez les hommes comme chez les fans. Deux évènements sont venus donner un sérieux coup de pouce aux patineurs. En 1989, Midori Ito décroche le tout premier titre mondial du patinage japonais. Et, deux ans plus tard, le pays obtient l’organisation des Jeux de Nagano. Le nombre de patinoires passe de 13 à 200 en une vingtaine d’années, note le Korea Times (en anglais). Aujourd’hui, il capitalise encore sur cette dynamique, avec des médaillés à chaque grande compétition.
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Source : Gros plan – Google Actualités