Dans la Maison Ronde, une porte rouge, décorée de stickers, indique «Classe de Madame Charline». On se trouve devant l’ancien bureau de Daniel Mermet, longtemps dépositaire de la tranche 17-18 heures de France Inter, et, pour certains nostalgiques, d’une certaine idée de la gauche sur les ondes publiques. Sur la petite plaque en métal, on peut encore lire : «Là-bas, si j’y suis… plus» – le «plus» inscrit au feutre indélébile. «Ah ça, c’est pas nous qui l’avons ajouté !» jure dans un grand sourire Charline Vanhoenacker. Quasi-quadra à laquelle l’on ne donnerait pas la trentaine, la journaliste belge apparaît devant nous telle que sur les affiches des stations de métro : chemise à carreaux, blue-jean, mèches blondes coincées derrière l’oreille et affabilité imparable.
L’ex-pigiste débrouillarde est devenue l’une des têtes de gondole de la radio publique : soit un visage «féminin», incarnant «une génération nouvelle». C’était un pari, et Charline Vanhoenacker n’a pas déçu. En deux ans, elle a ressuscité le billet d’humeur de 7 h 57, créneau le plus exposé de la Matinale, et a hissé son émission de l’après-midi, Si tu écoutes, j’annule tout, au-dessus du million d’auditeurs, tout en rajeunissant sa cible. Au prix d’un rythme de vie de moine soldat délirant : arrivée à 7 heures du matin en studio, chronique en direct, préparation de l’émission du jour, enregistrement à 17 heures, puis écriture du papier du lendemain. Retour vers 22 heures dans son appartement des Gobelins, où elle vit seule. «Je relativise. Quand j’animais le 5-7, tout en faisant ma chronique chez Pascale Clark, je dormais deux fois trois heures. Là, j’ai une nuit d’un seul tenant. Je ne trouve pas ça extraordinaire, tout le monde fait plus d’heures aujourd’hui. La semaine, on bosse à fond. Le week-end, on lève le nez.» De quoi coller une attaque aux tenants des 35 heures, une obsession bien française selon elle. Longtemps précaire, elle n’y voit pas de sacrifice. «La vie en entreprise a un côté neuf après tant d’années à bosser seule dans mon coin. Les gens vont dire que je suis folle de penser que la vie sociale est au bureau, mais je bosse avec mes amis. Les coups que je ne bois pas le soir, je me les envoie le midi à la cantine.»
Lors des déplacements en province, on se bouscule pour «voir Charline». Les Inrocks la consacre «femme la plus drôle de France». Laurence Bloch, patronne de France Inter, savoure : «Elle mérite tout ce qui lui arrive.» A la radio, personne n’y trouve à redire. «Dans une maison aussi langue de pute, cette unanimité dit quelque chose», confirme Valeria Emanuele, déléguée syndicale connue pour sa rugosité. «Un côté « mascotte de la direction », oui et alors ? Pour une fois qu’on a une mascotte qui ne nous fout pas la honte !» renchérit Vanessa Descouraux, du service reportage. Au service politique, on ne garde pas la dent dure contre celle qui, avant ses triomphes radiophoniques, fustigeait sur son blog le «Hollande Tour» des rubricards socialistes en 2012. «Elle s’est fait connaître en nous tapant dessus, se souvient Cyril Graziani. Mais elle a amené quelque chose de frais.» Même l’ancien taulier Didier Porte fait preuve de mansuétude («superdouée ; connaît la politique ; une puissance de travail qui force l’admiration»), avant de nuancer : «Je lui reprocherais peut-être ce côté mutin un peu monolithique. La légèreté, ça dédramatise tout, et on aimerait bien qu’elle aille dans la pure méchanceté, la dénonciation agressive.» Ce qui convient parfaitement à Laurence Bloch : «Son but n’est pas d’être impertinente, mais pertinente. Ce n’est pas un sniper. Pas un Bisounours non plus. Elle égratigne du monde.»
Parfois à ses dépens : une chronique sur Vincent Bolloré lui a coûté une émission sur Canal + avec Antoine de Caunes, que lui a présenté Daphné Roulier, une amie proche. «Charline n’a pas de réseau, juste sa bande à Inter. Elle n’a aucun sens de la stratégie. C’en est presque alarmant, mais du coup, elle est 100 % bio», plaisante l’animatrice. En feuilletant l’Obs, on tombe sur un rare grincheux. L’essayiste Jean-Claude Guillebaud voit dans l’ascension de la Belge un symptôme de «l’injonction rigolote» dominante. «Sous prétexte d’audaces transgressives, écrit-il, on s’aligne en réalité sur ce populisme sympa qui donne le ton un peu partout dans l’audiovisuel.» Populisme, le mot est fort. Certes, elle met un point d’honneur à ne pas frayer avec les politiques, qu’elle trouve pour la plupart «d’une nullité abyssale». Mais, en tant que «journaliste qui fait des blagues» et non humoriste (elle insiste), elle revendique la caricature comme «lubrifiant du débat», pour aborder le fond.
Fille unique d’un couple d’enseignants flamand et wallon, Charline Vanhoenacker peut avoir cet aspect bonne élève un peu espiègle, dont les profs tolèrent l’effronterie car ils savent qu’elle cache une maturité qui l’empêche de dépasser les bornes. Elle assume ce «petit côté centriste», fruit d’une «culture du consensus, typiquement belge». Chez elle, où le vote est obligatoire, elle donne sa voix aux «antiréacs, aux progressistes. Mon curseur est large à gauche. Je pourrais voter pour un équivalent de Podemos, un socialiste pas trop corrompu, ou un vert pragmatique. En France, même un Borloo m’intéresse». Sur la religion, même topo : athée et «bouffeuse de curés, imams et rabbins» revendiquée, elle n’en plaide pas moins pour une laïcité accommodante, notamment sur le voile. Son père, prof de morale laïque, a tenu à lui donner un parrainage séculier enfant. «Une forme de baptême anticatho. Ça plairait peut-être à Caroline Fourest mais j’ai trouvé ça totalement con.» Elle ne donne pas son salaire et assure qu’elle aurait gagné trois fois plus chez Europe 1. La native de La Louvière, morne ville d’un bassin minier agonisant, s’estime aujourd’hui privilégiée. «Je viens de la classe moyenne, à l’abri du besoin mais pas dans le confort. A l’école, je côtoyais les fils de médecins, qui partent au ski comme les enfants d’immigrés italiens, qui triment au charbonnage. J’étais dans l’entre-deux.»
Ado, son «héros», c’est Nicolas Hulot. Un voyage, à 14 ans, sur un voilier de la fondation du présentateur écolo est à l’origine de sa vocation journalistique. Elle en garde un goût très premier degré pour l’aventure et l’exotisme, au risque de lâcher des phrases comme «en Afrique, j’avais l’impression de revenir dans le ventre de ma mère, c’est le berceau de l’humanité», avec une sincérité désarmante. Volontaire d’une petite ONG, elle se rend chaque année au Burkina Faso.
Elle dit ne pas avoir «d’ambition débordante», mais ne s’interdit rien, malgré une expérience télé mitigée sur France 4, en 2015. Comme le rappelle son alter ego radiophonique, Alex Vizorek, «pour nous, les Belges, les médias français, c’est la Ligue des champions. On joue le coup à fond.»
31 décembre 1977 Naissance. 2012 Suit la campagne présidentielle pour la RTBF et le Soir. Depuis septembre 2014 La Matinale de France Inter et Si tu écoutes, j’annule tout. Novembre 2015 Parution de Bonjour la France ! (Robert Laffont – France Inter).
Photo Manuel Braun
Guillaume Gendron
Source Article from http://www.liberation.fr/debats/2016/03/08/charline-vanhoenacker-billet-en-tete_1438304
Source : Gros plan – Google Actualités