Début janvier, attablé dans un bistrot parisien avec l’un des rares députés qui lui a conservé son amitié, Jérôme Cahuzac cède à l’amertume : «Je suis un banni à vie de la République, moins qu’un paria.» Pour le ministre déchu, les trois années écoulées ont été lourdes de châtiments. Anéantie, sa réputation. Envolées, ses ambitions politiques. «Jérôme est conscient de la faute qu’il a commise, mais il trouve très excessive la manière dont on le traite, rapporte son ami socialiste. Il est très parano.»
«Comité d’accueil»
Son procès approchant, Jérôme Cahuzac est contraint de rester à Paris, ce qui n’arrange pas son moral. Lundi, il comparaît devant le tribunal correctionnel pour blanchiment de fraude fiscale et pour avoir omis de déclarer ses avoirs à l’étranger dans sa déclaration de patrimoine lors de son entrée au gouvernement, en mai 2012. Pour se ressourcer, brûler son énergie, échapper à la curiosité comme aux insultes de rue, l’hyperactif a pris l’habitude de filer vers la Corse et sa maison familiale de Pianottoli-Caldarello. Avec une étape quasi systématique à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), son ancien fief électoral. La dernière fois, c’était juste avant les vacances de Noël. Comme à l’accoutumée, il y a été reçu avec chaleur par une vingtaine de fidèles, dont plusieurs chefs d’entreprise qui, disent-ils, ne sont «pas forcément de son bord politique». Depuis que leur ancien député a vendu sa maison de Pujols, ils sont «quatre ou cinq» à l’héberger à tour de rôle lorsqu’il passe. «Il est apprécié ici, souligne Philippe Dus, entrepreneur à Casseneuil, bourgade des environs. C’est un homme de valeur, il a fait du bon boulot à Villeneuve. Ce n’est pas parce que les journalistes l’ont traité de paria au nom d’une morale utopique que ça a changé.» Dans ce petit cercle, personne n’en doute : «S’il s’était présenté à la partielle en 2013, il aurait été élu», soutient Jean-Guy Gillet, ancien dirigeant d’une entreprise d’événementiel, oubliant le sondage préélectoral qui, à l’époque, donnait le fraudeur largement battu. En mai 2015, les mêmes lui ont fait la surprise de rassembler 300 personnes en son honneur. «Cela l’a bouleversé, raconte un proche de Jérôme Cahuzac. Mais je ne suis pas certain qu’organiser un tel comité d’accueil soit très bon. Cela ravive chez lui des idées qui n’ont plus lieu d’être…»
Ce sentiment, Laura Verdier, une des rares personnes à qui Cahuzac a, dès décembre 2012, tout dit de sa situation fiscale, le partage sans doute. Cette chasseuse de têtes dans le luxe, devenue la compagne d’un ministre dont elle avait compris qu’il ne le resterait pas, n’est venue qu’une fois à Villeneuve-sur-Lot… Cahuzac, lui, peine à tourner la page. Renoncer à la vie publique, à son mandat de député, il n’y avait consenti qu’à la demande expresse de celui qu’il aimait comme un frère : le constitutionnaliste Guy Carcassonne, celui-là même qui lui avait ouvert les portes du gouvernement Rocard, brutalement décédé en juin 2013. «Jérôme, la politique, c’est sa vie, et il considère qu’il est mort, soupire Philippe Dus. Il est dans une forme physique exceptionnelle, ce qui prouve qu’il est psychologiquement très mal. Il fait du sport à outrance pour éviter de penser.»
«Je suis retraité»
A 63 ans, sa vie est au point mort. Ses tentatives pour redresser la tête, se remettre en selle, renouer avec une vie sociale normale se sont brisées sur le soupçon qui, désormais, colle à la peau de celui qui a menti beaucoup et à tout le monde. «Il est très difficile pour lui de se reconstruire professionnellement et humainement, assure Jean-Luc Barré, écrivain natif de Villeneuve-sur-Lot devenu le témoin privilégié de l’ascension et de la chute de l’ancienne gloire locale, qui vient de consacrer un livre à l’affaire (lire ci-contre). Je ne sais pas s’il sortira jamais de ce cauchemar.»
Depuis un an, Cahuzac a renoncé à travailler. «Je suis retraité», répond-il quand on l’interroge sur sa profession. Viré du gouvernement sous l’opprobre général, le ministre aurait pu redevenir chirurgien capillaire si l’Ordre des médecins, pas vraiment ravi de compter un fraudeur fiscal identifié dans ses rangs, ne l’avait suspendu pour six mois. En réalité, Cahuzac n’y comptait pas. Son épouse qui, lasse de ses infidélités, avait engagé contre lui une procédure de divorce en 2010 dirigeait déjà seule leur clinique de l’avenue de Breteuil, à Paris, le privant tout à la fois de cabinet, de matériel et de clientèle. Fin 2013, quand celle-ci révèle aux juges ses propres turpitudes fiscales et qu’il découvre la part qu’elle a prise dans sa chute, Cahuzac mesure l’ampleur de son naufrage personnel. Officiellement divorcés en novembre 2015, les anciens époux comparaissent lundi côte à côte devant le tribunal.
«Pressé d’en finir»
Afin de pourvoir à son train de vie, l’ex-ministre du Budget et ancien président de la commission des finances de l’Assemblée nationale entendait plutôt se tourner vers le consulting. Bourreau de travail, réputé pour sa connaissance approfondie des finances publiques et sa capacité à maîtriser les dossiers techniques, son carnet d’adresses était suffisamment épais pour une telle reconversion. Las ! Devant l’ampleur du scandale, les milieux d’affaires font la moue à l’idée d’associer leur nom au sien. En octobre 2013, la Financière Pinault fait exception qui confie à Cahuzac une mission ponctuelle d’audit. Mal lui en prend : en avril 2014, Tracfin, la cellule d’enquête financière de Bercy, signale au parquet national financier le virement de 35 000 euros opéré sur le compte professionnel de Cahuzac en rémunération de la prestation. L’enquête préliminaire immédiatement ouverte déclenche des perquisitions au domicile de Cahuzac comme chez son commanditaire… «La patronne de la Financière Pinault, Patricia Barbizet, aurait même été placée en garde à vue ! s’étrangle un proche de l’ancien ministre. A Bercy, ils font comme si tous les revenus de Jérôme provenaient de comptes non déclarés. Difficile de bosser dans ces conditions…» L’affaire est classée sans suite en octobre 2014. Mais Jérôme Cahuzac se sait désormais condamné à l’inactivité, avec pour seul revenu sa retraite de parlementaire. Du moins tant qu’un procès bornera son horizon. «L’avenir pour lui s’arrête au tribunal, confirme son ami Philippe Dus. Il est pressé d’en finir. Il craint seulement qu’on fasse un exemple avec lui.» En clair, de perdre, outre la bourse, la liberté.
L’affaire en librairie
Dans Dissimulations, publié le 20 janvier chez Fayard, Jean-Luc Barré, écrivain et ami de Jérôme Cahuzac, revient sur le parcours et la destinée tragique de ce personnage flamboyant, devenu un pestiféré de la République. Moins empathique à l’égard de l’ex-ministre déchu et parfaitement informé sur le dossier d’instruction, le journaliste Mathieu Delahousse a, lui, dégainé Code Birdie (le nom de code choisi par Cahuzac pour l’ouverture de son compte UBS en Suisse en 1992). Dans cet ouvrage publié le même jour chez Flammarion, notre confrère de l’Obs retrace avec force détails l’enquête qui a suivi la révélation de la fraude fiscale du ministre du Budget. Deux livres sur une affaire hors norme, qui a durablement ébranlé un quinquennat placé par François Hollande sous le signe de la «République irréprochable».
Nathalie Raulin
Source Article from http://www.liberation.fr/france/2016/02/05/cahuzac-use-levez-vous_1431440
Source : Gros plan – Google Actualités