► Ils ont bien choisi leur image
Pour un bon post sur Facebook (mais aussi sur Twitter), il est hautement conseillé de mettre une image qui attirera l’œil dans le défilement, souvent machinal, du fil d’actualité. Mais pas n’importe laquelle. Leur photo en noir et blanc est un selfie. C’est a priori l’enfant au premier plan à gauche qui tient l’appareil. Le selfie ou « égoportrait » comme disent nos cousins canadiens, est un phénomène de société depuis plusieurs années. Il permet de capturer un instant avec une apparence de simplicité et d’improvisation. Séduisant parce qu’il sonne « vrai ».
Sur la photo, les visages sont beaux, souriants. Un papa, une maman, quatre enfants. La famille traditionnelle française à laquelle le lecteur peut facilement s’identifier, un brin cliché. Et sur les réseaux sociaux comme ailleurs, souvent, nous aimons bien être confortés dans nos clichés.
► Ils ont soigné leur accroche
Pour un community manager, un bon post sur Facebook doit se limiter à 200 caractères. Au-delà, la mention « Afficher la suite » apparaît. Comme le texte est ici très long, le début (« l’accroche ») est primordial. Et ça commence fort « Adieu France ». Le mot « Adieu » d’abord, qui laisse penser qu’ils ne reviendront jamais. Cette touche d’inéluctable renforce le caractère spectaculaire du post et attire l’attention. Pourtant, ce « Adieu » si spectaculaire est vite démenti par le « rien n’est jamais définitif chez nous » quelques lignes plus bas qui laisse penser que ce n’est, en fait, peut-être qu’un « au revoir ».
En s’adressant à « France » comme si c’était une personne, l’auteure utilise un effet de style bien connu de tous les orateurs : la personnification. Un outil vieux comme la rhétorique dont l’un des maîtres incontestés est un certain Jean de La Fontaine (comme dans Le pot de terre contre le pot de fer). Une astuce qui ajoute de l’épaisseur au début du texte. Et attire donc l’attention. Encore.
► Ils se sont inscrits dans des combats anciens, déjà ancrés dans la mémoire collective
En critiquant le poids de l’administration française qui pèse sur la « France qui travaille » ou celle qui se lève tôt… (Cela ne vous rappelle rien ?) l’entrepreneuse tient un discours déjà entendu – avec un indéniable succès d’audience.
Souvenez-vous, en décembre 2012, un mouvement d’entrepreneurs autoproclamés « Pigeons » avait fait reculer le gouvernement sur une question de fiscalité des entreprises en lançant une page Facebook, un hashtag sur Twitter #Geonpi et un site internet dédié à leur combat. La dénonciation de cette entrepreneuse du Vaucluse s’inscrit donc dans un mouvement plus large. Et elle dispose d’une communauté déjà sensibilisée aux problèmes qu’elle décrit. Ce qui facilite évidemment l’adhésion au message et ainsi le partage. Mais ce n’est pas tout.
► Ils ont un petit côté « vieille France » et le revendiquentOutre la communauté des gens sensibilisés aux difficultés que peuvent rencontrer les entrepreneurs en France, cette famille revendique sa « normalité ». « Nous sommes une famille française, classique. Un papa, une maman ». « Un papa, une maman ». Un slogan maintes fois entendu dans la bouche des partisans de la Manif pour tous lors des manifestations « pour la défense de la famille, contre le mariage pour tous ».
Les futurs émigrés précisent en outre que leurs enfants sont « tous nés du même père et de la même mère » ironisant sur le côté « original » et « rare » d’une telle famille. Une autre référence à une France traditionnelle. Bien sûr, rien ne dit que ces références sont volontaires. Néanmoins, elles participent à donner une certaine couleur sociale et idéologique à cette famille. Une couleur qui joue forcément dans l’important nombre de partages : ainsi, ceux qui le diffusent n’adhèrent pas qu’au message, ils peuvent adhérer au messager.
► Ils donnent des détails
La règle est un classique de la communication : « Pour être lu sur les réseaux sociaux, il faut faire court, les gens n’ont pas le temps ». Un adage infirmé par ce post Facebook exceptionnellement long : 5000 caractères tout de même. Et pourtant : en donnant des détails sur leurs mésaventures avec l’administration, sur leur « combat » présenté comme étant mené envers et contre tous, ils facilitent encore le processus d’identification.
► Ils profitent de leur utilisation sur de bons piliers de partage sur les réseaux sociaux
Pour susciter du partage sur les réseaux sociaux, il faut créer une émotion. Ici, deux émotions constituent un moteur pour le partage. D’abord, l’indignation. Il est facile d’être indigné par le récit qui est fait par cette entrepreneuse : elle et son mari, parents de quatre beaux enfants, travaillent d’arrache-pied pour créer une belle entreprise qui permet aux touristes de découvrir leur belle région. Et l’administration, la justice, leur tape dessus au lieu de les encourager, les poussant à quitter le pays qu’ils représentent pourtant si fièrement. Dis comme ça, comment ne pas être indignés ?
Ensuite, le rôle cathartique et fantasmagorique de ce récit. Finalement, ce que fait cette famille, c’est se mettre en accord avec ses idées. Nombreux sont les Français qui râlent sur leur pays, mais combien osent franchir le pas en le quittant ? Peu. Lorsqu’un lecteur partage ce post, il vit par procuration ce qui apparaît comme une courageuse décision. Et s’arroge au passage un peu du prestige. Car c’est bien connu, sur les réseaux sociaux, le narcissisme n’est jamais loin.
Source Article from http://www.metronews.fr/info/adieu-france-pourquoi-la-complainte-d-une-chef-d-entreprise-cartonne-sur-facebook/mogj!r0sdi7MFKghNg/
Source : Gros plan – Google Actualités