Ils ont remisé flambeaux, banderoles et drapeaux. Samedi 6 février, les membres de l’Action française d’Aix-Marseille devaient se retrouver au cimetière de Roquevaire (Bouches-du-Rhône) à la nuit tombée. Pour commémorer, sur la tombe de l’idéologue Charles Maurras, les émeutes antiparlementaires d’extrême droite du 6 février 1934. La veille, la manifestation a été interdite par la préfecture de police, «compte tenu d’une récente série de heurts et d’agressions impliquant des individus se réclamant de l’Action française». Une poignée de militants s’est néanmoins rendue sur place, bien après l’heure dite. Se heurtant au portail fermé et à une vingtaine de gendarmes, aux cris de «Vive le roi !» et «A bas la République !»
La tombe de Maurras – né à Martigues où est enterré son cœur, tandis que son corps repose à Roquevaire – est fleurie anonymement au gré de l’année. Et depuis plusieurs mois, entre Aix-en-Provence et Marseille, le groupuscule qui a pour symbole la fleur de lys et rêve de voir éclore une nouvelle monarchie en France, connaît une sérieuse montée de sève. «Avant d’être royalistes, on est nationalistes», pose d’emblée Luc, 24 ans, étudiant en droit. Pull bleu marine et yeux clairs, il a embrassé la cause il y a trois ans, après avoir cheminé du gaullisme au villiérisme. «L’Action française se développe à nouveau après quelques années discrètes. On crée de nouvelles sections, on se professionnalise. Une fois les militants formés intellectuellement, on peut passer à des choses plus sérieuses. Comme les actions qu’il y a eues depuis septembre.»
«Socialistes assassins»
Ces dernières semaines, les coups d’éclat de l’Action française s’enchaînent. Comme le déploiement, en septembre à Marseille, d’une banderole «la corde pour les pédophiles» après une exposition d’art contemporain que l’extrême droite juge «pédopornographique». Le 2 décembre, ses militants interrompent violemment une conférence organisée à Sciences-Po Aix, par le Parti socialiste local, sur le thème de la lutte contre le Front national. Sous une bannière «socialistes assassins», une vingtaine d’assaillants investit les lieux, lance des boules puantes alors qu’une voix vomit dans un mégaphone «la politique immigrationniste qui détruit la France par sa haine de notre pays».
L’intrusion musclée pousse le député PS d’Aix-en-Provence Jean-David Ciot à demander à Bernard Cazeneuve «la dissolution de l’Action française». Sa lettre au ministre de l’Intérieur aura une conséquence directe. Le 25 janvier, ses vœux à la population sont attaqués par un groupe de jeunes gens – bandanas blancs autour du visage, casquettes à visières rabattues – qui scande «A bas Ciot ! A bas les voleurs ! A bas la République !» Jean-David Ciot vient d’être relaxé dans une affaire de détournements présumés de fonds publics, au côté de l’ancien président du conseil général des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini. «Il s’agissait de dénoncer l’impunité des grands, quand le Français moyen doit raquer pour un excès de vitesse de 5 km/h», s’agace Anna, une juriste de 24 ans arrivée à l’Action française, comme beaucoup, via la Manif pour tous. A l’entrée du théâtre où se déroulent les vœux, les militants socialistes résistent. Bousculades, baffes, chutes. Plusieurs plaintes sont enregistrées.
Comme pour l’assaut à Sciences-Po, une vidéo, montée en clip criard, est diffusée sur les réseaux sociaux. Anna, qui a pris part aux deux actions, affirme : «On n’a rien fait de violent. Il faut quand même distinguer les concepts de force et de violence.» Les insultes racistes entendues par un militant socialiste d’origine maghrébine ? «Le seul truc qu’on a dit, c’est « Daech enculé » !» soutient Luc. Le député Ciot, qui a déposé plainte pour menaces de mort, alerte : «Ils sont venus pour en découdre. Il n’y a aucun doute sur leur xénophobie, l’utilisation de la pression physique et la violence exprimée publiquement.» Dans une sage brasserie aixoise, le discours propret tranche avec la rébellion scénographiée des vidéos. Devant un verre de cidre, Luc expose les contours du «nationalisme intégral» de Maurras – apologiste de Vichy, il fut condamné en 1945 à la réclusion à perpétuité et… à la dégradation nationale. «La monarchie qu’on défend est héréditaire, antiparlementaire, décentralisée et traditionnelle.» Tout haut, Luc rêve d’un régime mêlant continuité capétienne et parlements locaux. Le propos fleure la Restauration, mais il séduit une grosse soixantaine de jeunes entre Aix-en-Provence et Marseille. «Le modèle du Camelot, au siècle dernier, c’était une canne et un bon bouquin. Aujourd’hui, la canne a été mise au placard. C’est plutôt un smartphone pour faire des vidéos qu’on a dans la poche», note Luc. Des Camelots du roi 2.0 en somme.
«La gueuse»
Sur leurs pages Facebook, ils crachent leur haine de «la gueuse», cette «république honnie» ; font des saluts à trois doigts et des quenelles au côté d’Alain Soral ; citent Céline. Et les cannes ressortent du placard pour faire la haie d’honneur à des jeunes mariés de l’Action française que Stéphane Ravier, maire FN des XIIIe et XIVe arrondissements de Marseille, unit dans sa mairie. Sur ces terres de Paca, fertiles pour l’extrême droite, le cousinage avec le Front national favorise la montée du groupuscule. «Il y a des affinités», convient Anna. A Marseille, ville où les factions d’ultradroite peinaient jusqu’alors à s’implanter, l’Action française a acheté un local dans le VIe arrondissement – via une société civile immobilière (SCI), délicatement baptisée le Cochonnet. Et même si le Front national «reste un parti républicain, dans le système», aux yeux d’Anna, les noms de membres de la SCI se retrouvent sur certaines listes frontistes.
Le regain d’activité monarchiste est aussi le fruit d’un recrutement actif dans le milieu étudiant aixois. «On est très présents à la fac, il y a des tractages toutes les semaines», reprend Anna, passée, comme plusieurs royalistes, par le syndicat étudiant de droite UNI Met. «Il y a des transfuges. Nous ne travaillons pas ensemble, mais le syndicat est souvent une première expérience pour nos militants», poursuit la jeune femme. L’un des fondateurs de la SCI le Cochonnet fut responsable de l’UNI Met de Marseille en 2011. Le syndicat réfute « toute infiltration». Les troupes de l’Action française avancent de moins en moins masquées, signe, aux yeux d’une source policière, d’une «dangerosité potentielle». Leur ligne de conduite, pour imposer les théories nationalisto-royalistes maurrassiennes ? Luc plastronne : «Par tous les moyens. Même légaux.»
A la droite du FN, toute une constellation
Le Front national ayant fait le ménage parmi ses partisans, une poignée de mouvements se partagent les plus radicaux des militants d’extrême droite.
Exister à l’extrême droite hors du Front national : l’exercice relève de la quadrature du cercle. Depuis son envol des années 80, le parti lepéniste est en situation d’hégémonie sur cette famille, condamnant les mouvements résiduels à l’agitprop ou à la marginalité électorale.
Concurrencer le FN dans les urnes, telle fut pourtant l’ambition de plusieurs mouvements au cours des dernières décennies. Comme le Parti des forces nouvelles dans les années 80 ou le MNR mégrétiste au début des années 2000. Sans succès, pas plus que pour le Parti de la France fondé en 2009 par l’ex-frontiste Carl Lang. Ce dernier doit, pour l’heure, se contenter de récupérer d’ex-FN déçus ou expulsés. Et concentre ses maigres forces sur la préparation des prochaines législatives, à l’issue desquelles il espère arracher un financement public.
Vivote. Face à cette impasse électorale, la plupart des mouvements se cantonnent au militantisme «de base» ou au «combat culturel» – d’autant plus volontiers que certains ne croient guère aux élections, et que presque aucun ne dispose des ressources financières et humaines permettant d’y participer. Vivote ainsi une constellation de groupes aux orientations et aux modes d’actions les plus divers : si les activités sur Internet font, chez certains, office de cache-misère pour des effectifs dérisoires, un mouvement tel que le Bloc identitaire organise régulièrement des opérations militantes pensées pour leur impact visuel. Quant aux relations réciproques entre ces mouvements, elles oscillent entre coopération et compétition. «Comme tout l’espace est bouffé par le Front, chacun fait assaut d’activisme pour grappiller les miettes, résume Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite. Et comme ces milieux ne représentent sans doute guère plus de 2 000 ou 3 000 militants, c’est un marché très concurrentiel.» Mais récemment stimulé par le bouillonnement droitier de la Manif pour tous, qui a vu émerger une nouvelle génération de militants dans la mouvance nationale-catholique.
Officiellement, le FN mariniste n’entretient pas de rapports avec cette turbulente extrême droite. Tout à sa volonté de couper avec la frange radicale de sa famille, le parti s’est notamment purgé des militants de l’Œuvre française, groupe pétainiste (et dissous en 2013) ayant jusqu’alors encouragé ses militants à l’entrisme.
Débouché. Demeurent toutefois de nombreux liens officieux ou personnels entre le FN et l’extrême droite radicale, le parti lepéniste faisant office de débouché naturel pour les cadres les plus prometteurs (ou les moins voyants) de cette dernière. En Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca), quelques sympathisants de l’Action française ont ainsi concouru sous les couleurs du FN lors des dernières municipales. Les liens sont plus serrés encore avec le Bloc identitaire, dont un ancien dirigeant, Philippe Vardon, a été élu en décembre conseiller régional de Paca sur la liste de Marion Maréchal-Le Pen.
Dominique Albertini
Dominique Albertini
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Coralie Bonnefoy Envoyée spéciale à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône)
Source Article from http://www.liberation.fr/france/2016/02/11/a-aix-retour-de-flamme-de-l-action-francaise_1432732
Source : Gros plan – Google Actualités