L’épée de Jean-Loup Dabadie. Image d’illustration. (NIVIERE/SIPA)
Qui, ne serait-ce que par un éphémère sentiment d’extravagance, ne s’est jamais heurté à l’inaltérable ? Au demeurant, qui n’a jamais voulu attaquer l’inattaquable, et affronter l’insurmontable ? Mais seulement : qui l’a déjà fait ? Lasse du combat, lasse des tentatives inabouties que l’on entreprend sur un coup de tête ; l’audace lasse parfois. Elle désespère. On la dénigre, on la dédaigne, on la rejette. Bien pire est le châtiment des audacieux ! On les calomnie parce qu’on les envie. On les juge parce qu’ils réussissent.
Ma lettre de motivation à Hélène Carrère d’Encausse
Ce chemin de l’audace : j’ai osé le prendre. Envers et contre tout. J’ai pensé à l’impensable. J’ai transformé un rêve en réalité. J’ai prétendu à l’immortalité. Ne seraitce pas un contre-sens ? J’ai voulu prouver que non. J’ai voulu prouver que rien est impossible si tant est que le courage et la volonté demeurent. J’ai voulu prouver que la jeunesse fait naître quelquefois l’impétuosité, comme je l’affirmais à Hélène Carrère d’Encausse dans ma lettre de candidature à l’Académie française.
« Madame le Secrétaire perpétuel,
Se présentent parfois des candidats inattendus, inconnus et imprévus. Longtemps encore, aurais-je pu réfléchir, sans doute. La jeunesse fait naître quelquefois l’impétuosité : qui de chacun de nous, n’a jamais eu d’autre rêve que l’inatteignable ? Du haut de mes quinze ans, puis-je encore prétendre à l’espérance ? Notre convoitise trouble notre conscience. Quant à moi, je m’élance. Jamais je ne recule. J’affronte l’inattaquable : l’Académie française. Le jeune provincial que je suis, le jeune Breton que j’incarne, se veut réconciliateur. Qu’attendons-nous pour raviver la flamme de notre belle langue, dans le cœur des nouvelles générations ? Faire susciter cette émotion si vive que l’on éprouve à son contact, à une jeunesse perdue parce qu’abandonnée ; telle est la raison de ma candidature. Vous écriviez, madame le Secrétaire perpétuel, que « les lettres de candidatures du XXIème siècle n’ont plus grand-chose à voir avec un essai littéraire et ne renseignent guère sur les dons et les goûts de leurs auteurs ». Acceptant mal l’unicité et la banalité, ma lettre de candidature se veut plutôt insaisissable : à vous d’en découvrir les fragments. À seize ans Victor Hugo écrivait Bug-Jargal, tandis qu’à quinze ans, j’ai écrit la Nouvelle France. Né le douze décembre deux mille et lycéen au Lycée Saint-Joseph de Lamballe, il ne m’a pas fallu attendre bien longtemps avant que cette envie, cette prédilection pour l’écriture, ne se concrétise. Mon premier manuscrit est un essai philosophique et politique, énonçant de grandes réflexions pour le monde de demain. Peut-être pourrions-nous en discuter lors d’une rencontre. Offrant mon existence aux idées, je me veux idéaliste. Intégralement dévoué à mes passions, soit les langues, l’histoire et la politique ; ma vie y prend tout son sens. Je porte un grand intérêt pour la civilisation juive – dont j’étudie la langue principale, l’hébreu moderne – ainsi que pour la Russie – que je vous sais ô combien admirative. Quant à mes lectures, je garde toujours à l’esprit les idéaux d’Alain Peyrefitte. Malgré sa mort, il n’a pas disparu. Voici l’hommage que je lui rends, en me présentant. Je vous demande, madame le Secrétaire perpétuel, de communiquer ma candidature, au fauteuil n°5, aux membres de l’Académie française, ainsi que d’assurer mon inscription sur la liste des candidats à la succession de Mme. Assia Djebar. Je vous prie d’agréer, madame le Secrétaire perpétuel, l’expression de ma plus haute considération. Valentin Ogier »
Surpasser l’insurpassable, tel est mon mot d’ordre.
Ainsi, le 21 janvier 2016, je me suis présenté à la succession d’Assia Djebar. Se hasarder à la conquête de l’indomptable est une expérience inouïe : entre traditions et fauxsemblants, entre déceptions et espérances, entre illusions et désillusions ; c’est un chemin semé d’embûches.
Je m’intéresse à la politique depuis mes six ans
Cette candidature est l’aboutissement de mes passions. À vrai dire, ce sont mes passions qui l’ont forgée.
Cela fait depuis l’âge de six ans que je m’intéresse à la politique. 2007, c’était le temps de la campagne présidentielle. 2007, c’était une année pleine de rebondissements médiatiques, de débats politiques. Le petit rêveur et naïf que j’étais restait, comme bien des enfants de cet âge, bloqué devant la télévision. Adieu les dessins-animés, bonjour émissions politiques ! Voici à quoi se résumaient mes journées.
Cette « fièvre » m’a ensevelie très tôt et peu à peu, s’est avérée inguérissable. Le charisme des hommes politiques d’alors me fascinait : l’enfant crédule que j’incarnais se faisait emporter par ce flot de déclarations politiques en tout genre.
Pourtant, il fallut attendre mon entrée en sixième, pour véritablement en faire un centre d’intérêt. Depuis ce temps, d’autres se sont développés autour de cette même passion : la philosophie et la littérature. C’est tout naturellement que l’Académie française m’attirait.
Camarades bien bienveillants et parents confiants
Mon décalage et ma différence en intriguent plus d’un. Malgré cela, je dois dire que quelles que soient les personnes rencontrées, jamais elles ne m’ont exclu. Mes camarades de classe ont toujours été bienveillants. Je les fais parfois sourire, certes, mais ce sont plus des sourires admiratifs que moqueurs. Et il faut dire que j’en joue ! Beaucoup d’entre eux me trouvent drôle, amusant et intéressant. Peu importe les écoles où j’étais scolarisé : j’y trouvais chaque fois ma place.
Les réactions de mon entourage, de mes professeurs, furent unanimes : tous me félicitaient et me félicitent encore quand ils me voient dans les médias. Cette candidature, c’est aussi grâce à mes parents. Liberté, indépendance et confiance, voici ce qu’ils m’ont appris et continuent de m’apprendre. La preuve : si habitués de me voir miser sur l’originalité, ma candidature à l’Académie française ne les a guère étonnés. Elle les a plutôt confortés dans la confiance qu’ils ont en moi. Plus j’innove, plus on me laisse de liberté. Cela aide à avancer.
Mes parents sont si confiants que je peux accepter moi-même les demandes faites par les médias. Ainsi, l’on m’a proposé quelques passages à la télé, à la radio, dans le journal. Quoi de mieux, finalement, que de rendre fiers ses parents ? Leur estime me suffit. Quoi qu’il en soit : ma victoire ou ma défaite à l’élection du 3 mars n’y changera rien.
Beaucoup de travail
Ce fut d’abord une longue période de travail. Se ressourcer à travers l’étude est indispensable pour prétendre à l’écriture. C’est dans cette manière de penser que s’est installée en moi la nécessité d’écrire un essai. Écrire pour s’évader, écrire pour partager mais surtout écrire pour bouleverser.
Dans une France divisée, tiraillée parmi les tensions communautaires les plus sombres, de nouveaux projets doivent métamorphoser le pays. Renouveler, c’est préparer la chute. Se renouveler, c’est l’éviter. Le chantre de la tolérance et des cultures – comprenez bien là que je combats ardemment toute uniformisation des mœurs – se veut réconciliateur. Accepter l’Autre, sa communauté, sans tabou ni lieux communs, c’est construire un avenir serein. Qu’adviennent les individus sans identité ? Ils sombrent parmi les méandres de la désespérance universelle.
Tels sont les rôles de mon essai : 1° garantir un projet pour l’avenir, une réflexion nouvelle et improbable sur des sujets comme la démocratie confessionnelle, le culte du Moi, ou bien la confiance en l’Autre tant décriée à l’heure actuelle. 2° donner une légitimité – certes imprévue – pour un candidat… très inattendu.
L’idée m’est venue grâce à l’Internet
Cette candidature fit l’objet d’une préparation soignée. Par un soir d’été, la tête dans les nuages de l’Internet, je me heurtais longuement à un article paru en décembre 2013. Un étonnement hors norme et une fascinante curiosité me prirent d’assaut. Cet article trouvé par un joyeux hasard témoignait d’un lycéen brillant se présentant à l’Académie française, nommé Arthur Pauly. Ah ! mais qu’est-ce que cette institution ? pourquoi est-elle si prestigieuse ? telles furent les questions que je me suis posées très rapidement. Après de nombreuses recherches, la définir devenait chose simple.
La simple idée de s’y présenter me faisait trépider. Mais sous quel prénom ? Allais-je garder mon premier prénom Enzo, symbole d’un temps présent jugé peut-être trop moderne par quelques académiciens ? Une chose est certaine : Enzo est trop moderne pour une Académie qui perdure depuis des siècles. Laissons le temps faire. Ne bousculons point trop les vieilles traditions académiciennes. C’est pourquoi mon second prénom, Valentin, faisait parfaitement l’affaire. À la fois moderne et classique, il semblait accorder deux générations opposées. «
J’affronte l’inattaquable : l’Académie française. Le jeune provincial que je suis, le jeune Breton que j’incarne, se veut réconciliateur. Qu’attendons-nous pour raviver la flamme de notre belle langue, dans le cœur des nouvelles générations ? Faire susciter cette émotion si vive que l’on éprouve à son contact, à une jeunesse perdue parce qu’abandonnée ; telle est la raison de ma candidature » écrivais-je à Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuelle de l’Académie, quant à la succession d’Assia Djebar.
« L’avenir est quelque chose qui se surmonte »
Je veux montrer, à travers ma propre expérience, que rien n’est pire qu’avant. Le niveau culturel des jeunes ne s’abaisse pas d’années en années : qu’en était-il donc, au 19ème siècle ? Peut-on dire que les enfants étaient plus instruits que ceux de maintenant ? Aucunement.
J’en suis l’incontestable preuve : de semaine en semaine, je lis, je réfléchis, grâce à l’Internet. Je construis ma propre culture grâce aux réseaux sociaux. La Révolution numérique a apporté quelque chose qui n’existait pas avant : le partage instantané. Qu’il soit culturel, social ou économique. Elle a apporté une plus grande égalité des chances : l’accès aux savoirs, gratuitement, indifférencie culturellement le riche du pauvre. Se présenter à l’Académie française, à quinze ans et pour un provincial, aurait-ce été envisageable il y a un siècle ?
Ma candidature n’a pas été dénuée de sens. Elle n’a rien d’une provocation. Elle porte un message : celui de l’espérance. Je voulais répondre à tous ceux, aujourd’hui, qui démoralisent les Français. Qui les assomment d’un pessimisme toujours plus éclatant. Non, la jeunesse française n’est pas perdue. Non, la jeunesse française ne va pas dans le mur. Non, la jeunesse n’est pas vouée au déclin. Elle se ressaisira car c’est son rôle. Elle n’a pas le choix. Il en va de la survie d’une Nation. Jeunesse, n’aie pas peur, tout est encore possible !
Jeunesse, rappelle-toi ces quelques mots de Bernanos : « L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait ». Jeunesse, deviens immortelle.
Source Article from http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1483956-a-15-ans-je-postule-a-l-academie-francaise-je-veux-devenir-immortel.html
Source : Gros plan – Google Actualités