L’amas des Pléiades, ce petit groupe stellaire visible à l’œil nu dans la constellation du Taureau, serait finalement à près de 444 années-lumière de nous, 10 % plus loin que ce qu’avait mesuré le satellite européen Hipparcos.
Visibles à l’œil nu une grande partie de l’année aux latitudes européennes, les étoiles les plus brillantes de l’amas des Pléiades sont nées dans la même nébuleuse interstellaire, il y a près de 100 millions d’années. L’éclat puissant de ces géantes bleues se réfléchit sur les microscopiques poussières du milieu interstellaire qu’elles traversent. Sur cette image, les aigrettes perpendiculaires et les cercles visibles autour des étoiles sont des artefacts engendrés par le télescope utilisé (télescope de Schmidt de 1,2 m de l’observatoire du mont Palomar).Crédits : NASA/ESA/AURA/Caltech
Facile à voir à l’œil nu dans la constellation du Taureau, vous pouvez le repérer à l’aube actuellement, loin au-dessus de l’horizon sud-est, l’amas des Pléiades est l’un des objets célestes les plus cités dans la littérature scientifique récente. Sans instrument, nous ne pouvons admirer que quelques étoiles – 7 dans un ciel bien noir sans pollution lumineuse et avec une bonne vue – mais cet amas regroupe en réalité plusieurs milliers d’astres. Son éclat et sa forme caractéristique – il ressemble à une version miniature de la Grande Ourse – en ont fait un élément important des mythologies célestes de pratiquement toutes les civilisations passées ; les Pléiades rythmaient l’année, annonçaient les saisons ou ponctuaient les calendriers et les cycles cosmogoniques. Mais cet intérêt ne s’est pas dissipé à l’avènement de la méthode scientifique, bien au contraire. Les astronomes ont vite saisi l’importance de ce groupe stellaire homogène et suffisamment proche de nous pour être aisément observable aux instruments. L’étude de l’évolution de ces étoiles nées pratiquement en même temps dans la même région de l’espace est riche d’enseignements pour notre compréhension des astres et des amas stellaires plus lointains, mais la détermination de leur distance est un point essentiel pour calibrer notre savoir.
Jusqu’aux années 1990, la distance des Pléiades était estimée à près de 430 années-lumière. Le satellite européen Hipparcos, qui a mesuré entre 1989 et 1993 la position et le mouvement propre de plus de 118 000 étoiles avec une précision que l’on pensait inégalée, a semé le doute en indiquant pour les Pléiades une distance de 390 années-lumière seulement ! Quelques années plus tard, en 2007, un nouveau calcul tenant compte d’infimes mouvements du satellite a été appliqué aux données d’Hipparcos et il a permis d’accroître la précision des résultats et de placer les Pléiades à près de 400 années-lumière, toujours bien en dessous de la valeur admise avant Hipparcos. L’extrême précision des mesures d’Hipparcos ayant été démontrée pour des dizaines de milliers d’étoiles individuelles, comment expliquer une telle différence sur l’amas des Pléiades ? Les premières mesures terrestres sont-elles fausses ou bien les données d’Hipparcos contiennent-elles une erreur qui reste à déceler ?
400 années-lumière au lieu de 430, c’est moins de 8 % d’écart, mais l’enjeu est de taille pour les astronomes car, comme l’explique Carl Melis (Center for Astrophysics and Space Sciences, University of California, San Diego, California), principal auteur d’un article publié ce 29 août dans la revue Science : « cette différence peut ne pas paraître énorme, mais elle a des conséquences sur notre compréhension de la façon dont les étoiles se forment et évoluent. Pour coller aux mesures de distances d’Hipparcos, certains astronomes en sont venus à suggérer que des processus physiques inconnus devaient être à l’œuvre dans ces jeunes étoiles. » Ses collègues et lui ne voulaient pas se contenter d’attendre les résultats du satellite Gaia, le nouvel arpenteur céleste européen lancé en décembre dernier par l’ESA et qui, avec quelques mois de retard, vient d’être déclaré apte à commencer sa mission. Ces astronomes ont donc décidé d’utiliser un réseau de radiotélescopes pour mesurer la parallaxe de cinq étoiles de l’amas des Pléiades avec un degré de précision jamais atteint auparavant.
On peut mesurer la distance des étoiles proches par la méthode de la parallaxe annuelle. En relevant la position d’une étoile par rapport aux astres qui l’environnent à 6 mois d’écart, la base de la mesure correspond au diamètre de l’orbite terrestre, soit 300 millions de kilomètres, et l’angle de parallaxe donne la distance par un simple calcul trigonométrique.Crédits : Alexandra Angelich/NRAO/AUI/NSF
Mesurer la parallaxe d’un objet éloigné est quelque chose que nous faisons en permanence avec nos yeux, c’est ce qui nous permet de voir le monde en relief. La position d’un même objet par rapport à son environnement change légèrement selon que nous le regardons avec l’œil gauche ou l’œil droit et notre cerveau interprète instantanément ce léger décalage comme une différence de distance. On peut appliquer ce principe aux astres et mesurer leur distance par un simple calcul trigonométrique, mais il faut alors augmenter l’écart spatial entre les deux mesures, par exemple en mesurant la position d’une étoile par rapport à ses voisines à un moment donné, puis six mois plus tard lorsque la Terre a parcouru la moitié de son orbite autour du Soleil, on parle alors de parallaxe annuelle. L’écart spatial entre les mesures est pratiquement de 300 millions de kilomètres, un peu mieux que la distance entre nos deux yeux ! Si chaque mesure est réalisée avec un réseau d’instruments qui observent la même étoile simultanément, la détermination de l’angle de parallaxe peut devenir exceptionnelle. Mais il y a un problème : toutes les étoiles bougent, donc, entre deux mesures, les étoiles qui servent de référence ont également bougé ce qui diminue d’autant la précision de l’angle de parallaxe obtenu. Pour dépasser cette limite de résolution, Carl Melis et ses collègues ont travaillé avec des radiotélescopes en mode interférométrique plutôt qu’avec des télescopes en lumière visible et ils ont utilisé un quasar comme point de référence. Ces objets célestes – des noyaux hyperactifs de galaxies lointaines – sont particulièrement brillants en radio et leur éloignement est tel qu’ils peuvent être considérés comme fixes et constituent donc des bornes idéales.
Ces astronomes ont utilisé des observations faites une fois par semaine pendant plus de 18 mois avec les radiotélescopes suivants : le VLBA, un ensemble de 10 radiotélescopes dispersés des Îles Vierges (Antilles) à Hawaii, et les antennes paraboliques de Green Bank (États-Unis), d’Arecibo (Porto Rico) et d’Effelsberg (Allemagne). Pour Amy Miouduszewski (NRAO, États-Unis), co-auteure de l’article : « en utilisant ces instruments ensemble, nous avons obtenu l’équivalent de la résolution d’un radiotélescope de la taille de la Terre, ce qui nous a permis de collecter des mesures d’une précision extrême. Nous aurions eu la possibilité de mesurer l’épaisseur d’une pièce de monnaie à près de 4 500 km de distance ! » Résultat : d’après eux, l’amas des Pléiades se situe à 444 années-lumière de nous à 1 % près. C’est une quarantaine d’années-lumière de plus que pour Hipparcos, cherchez l’erreur…
En présentant la nouvelle version des résultats d’Hipparcos, en 2007, l’astronome Floor van Leeuwen avait expliqué que les autres mesures récentes de la distance des Pléiades qui, à ce moment, donnaient des valeurs comprises entre 420 et 440 années-lumière, s’appuyaient sur l’observation d’une seule étoile dans un cas et de trois dans l’autre, alors qu’Hipparcos avait relevé le mouvement propre et la distance d’une cinquantaine d’étoiles de l’amas. Il conseillait alors aux autres équipes de revoir leurs données, et de vérifier leurs hypothèses et leurs méthodes d’analyse. C’est apparemment ce que Carl Melis et ses collègues ont fait en développant leurs méthodes d’observation dans les années suivantes et le résultat est toujours différent, ce qui est pour le moins troublant. Nombre d’astronomes seraient sans doute tentés de retourner l’argumentation de Floor van Leeuwen en lui proposant de trouver la source d’une éventuelle erreur dans les mesures d’Hipparcos. Pourtant, si l’on en croit des études récentes des données d’Hipparcos, et notamment du cas particulier des amas stellaires proches, il semble que la différence ne soit peut-être pas si importante. Plusieurs articles scientifiques, publiés ces deux dernières années, proposent en effet de réévaluer la distance des Pléiades dans le catalogue Hipparcos à près de 430 années-lumière, plus ou moins 10 années-lumière ; l’écart résiduel pouvant alors être attribué aux infimes erreurs de mesure. Mais la possibilité existe également que les étoiles de l’amas des Pléiades soient largement dispersées le long de notre ligne de vision. Le débat sur la distance des Pléiades est donc loin d’être clos et on peut prédire que les mesures à venir du satellite Gaia seront auscultées très précautionneusement avant leur diffusion.
Sources
A VLBI resolution of the Pleiades distance controversy, Carl Melis et al., Science
Astronomers measure precise distance to controversial star cluster, Ken Croswell, Science
One good cosmic measure, Léo Girardi, Science
Radio Telescopes Settle Controversy Over Distance to Pleiades, NRAO
Resolving the controversy about the Pleiades distance?, Astronomy & Astrophysics
Guillaume Cannat (pour être informé de la parution de chaque nouvel article, suivez-moi sur Twitter, ou sur Facebook ou sur Google+)
Signaler ce contenu comme inapproprié
Source Article from http://autourduciel.blog.lemonde.fr/2014/08/29/le-probleme-de-la-distance-des-pleiades-enfin-resolu/
Source : Gros plan – Google Actualités