Début septembre, un écolier français sur cinq découvrait la semaine de 4,5 jours. Chaque commune ayant adopté la réforme des rythmes scolaires était alors libre d’organiser la journée des élèves de maternelle et d’élémentaire comme bon lui semblait, pour que les journées de travail soient moins longues. À Paris, en contrepartie des cours le mercredi matin, les petits referment leurs cahiers le mardi et le vendredi à 15 heures. Une très grande majorité d’enfants restent ensuite dans l’enceinte de l’école pour des « temps d’activités périscolaires » (TAP), dont l’idée était de proposer une ouverture au monde et à la culture au plus grand nombre.
Las, après trois semaines d’expérimentation, les critiques fusent. Devant les protestations entendues à la sortie de l’école, les fédérations de parents d’élèves, comme la PEEP, ont lancé un sondage pour recueillir les avis. Un syndicat d’enseignants, le SNUIpp, affirme que les premières remontées sont « alarmantes ». Face à cette grogne qui monte et le tollé annoncé, le ministre de l’Éducation nationale reste serein : cette réforme « est faite, d’ailleurs on le voit bien, uniquement dans l’intérêt des enfants. On voit que pour les adultes, c’est plus difficile », ironisait Vincent Peillon lundi matin. Après trois semaines d’expérimentation, un directeur d’école maternelle parisienne (qui a souhaité rester anonyme) dresse pourtant, lui aussi, un bilan peu reluisant de ces nouveaux rythmes.
Le Point.fr : Quelles sont les premières conclusions que l’on peut tirer de l’instauration de cette semaine de 4,5 jours ?
Monsieur le directeur : Personne ne s’y retrouve. Les adultes, parents, enseignants, animateurs et intervenants en tout genre finiront bien sûr par s’habituer à ces changements. Mais pour les enfants, c’est le chaos total. Ils n’ont pas deux jours consécutifs semblables. C’est un problème majeur, a fortiori pour les tout-petits que sont les élèves de maternelle : ils ont besoin de régularité pour structurer leur temps. Et dire que l’un des principaux arguments des partisans de la réforme était de « travailler le mercredi pour éviter une semaine trop saccadée ». Quel échec !
Concrètement, comment cela se manifeste-t-il ?
Les enfants ont perdu tout repère : le lundi, l’école se termine à 16 h 30, le mardi à 15 heures, le mercredi à 11 h 30… Ils ne savent pas s’ils retrouveront leur maîtresse après la récréation de l’après-midi, si c’est l’heure du goûter parce que les animateurs arrivent, les élèves de petite section découvrent parfois un animateur à la place de leur maîtresse en se réveillant de la sieste… Impossible pour eux de se projeter dans la journée : à quelle heure quitteront-ils l’école ? Resteront-ils avec les mêmes camarades tout au long de l’après-midi ? Certains sortent à 15 heures, d’autres à 16 h 30, voire à 17 h 30… Et le ballet se poursuit jusqu’à 18 h 15 ! C’est extrêmement anxiogène pour des petits âgés de 3 à 5 ans. Tout cela pour que les élèves soient moins fatigués ? Mais le temps passé en collectivité est plus important qu’avant ! C’est absurde. En tant que directeur d’école, je constate des faits objectifs : il y a davantage d’absentéisme et de maladies que l’année dernière à la même époque. La différence est si significative qu’il ne peut s’agir d’une simple coïncidence.
Quels sont les gros problèmes posés par la réforme au sein d’un établissement comme le vôtre ?
Il y a tout d’abord le souci des locaux. Les classes, « prêtées » de 15 heures à 16 h 30, ne sont plus exclusivement dédiées à l’apprentissage. Et même si, en maternelle, le temps passé avec la maîtresse s’articule autour de jeux, ceux-ci ne sont pas de même nature que ceux proposés par un animateur. Les enseignants avaient évoqué cette question avant que la réforme ne soit instaurée, et cela avait alors été perçu comme un réflexe corporatiste, comme si les instituteurs ne voulaient pas partager leurs jouets. Mais cela n’a rien à voir ! Les enfants ne comprennent plus s’ils sont autonomes et peuvent choisir leur activité ou s’ils doivent suivre une règle dont l’objectif est pédagogique. Il y a mille façons de passer du temps dans un « coin cuisine » : on peut simplement jouer ou alors tenter de sélectionner uniquement les couverts nécessaires à table et les choisir tous de la même couleur. Un animateur n’a ni la même autorité ni la même approche qu’un enseignant, et les pistes sont brouillées pour les enfants.
Lorsque les cours s’arrêtent à 15 heures, les Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), qui assistent les enseignants pendant la journée notamment pour tout ce qui a trait à l’entretien de la classe et l’hygiène des enfants, deviennent animateurs pour les TAP. N’est-ce pas un repère qui perdure tout au long de la journée pour les jeunes élèves ?
In fine, pas du tout ! Car l’Atsem change de rôle. Les enfants ne savent plus quand se tourner vers elles (ce sont quasiment exclusivement des femmes, NDLR). Vont-ils la voir quand ils ont besoin d’aller aux toilettes, comme c’est le cas pendant la classe ? Ah non, plus maintenant, il est 15 heures passées, elles organisent un jeu. Mais, attention : le lendemain matin, si les enfants ne comprennent pas ce qu’il faut faire, c’est à la maîtresse qu’ils doivent cette fois s’adresser, car l’Atsem sera en train de ranger l’activité précédente. C’est le bazar absolu. Par ailleurs, toutes talentueuses qu’elles soient, les Atsem ne sont pas formées pour occuper les enfants : au mieux, elles les laissent libres de faire ce qu’ils souhaitent, au pire, elles jouent à la maîtresse en tentant de reproduire ce qu’elles ont vu le matin pendant la classe.
Certains syndicats, comme le SNUipp, ont dénoncé des « problèmes d’hygiène et de sécurité ». Qu’en est-il ?
C’est absolument exact. Dévolues désormais à partir de 15 heures à d’autres activités, les Atsem ne peuvent plus ni ranger la classe, comme elles le faisaient avant (rendant impossibles des activités plus salissantes en classe, comme la peinture acrylique ou la cuisine, qui nécessitent un nettoyage particulier), ni nettoyer l’école comme avant en se relayant tout au long de la journée. Désormais, une entreprise de nettoyage vient le samedi matin dans l’école : mais une cour d’école jonchée de feuilles mortes et de fientes de pigeon a besoin d’être nettoyée plus d’une fois par semaine ! Un dortoir où un petit a fait pipi par accident aussi ! L’hygiène et la propreté sont essentielles dans une école !
Mais malgré toutes ces difficultés, les TAP permettent-ils réellement aux enfants de découvrir de nouvelles activités ?
Pour le moment, pas du tout. Une fois les temps de passage de relais entre les équipes passés, il ne reste plus qu’une heure, deux fois par semaine. La qualité des ateliers proposés n’y est pas du tout, et les animateurs, pourtant pétris de bonne volonté pour la plupart, improvisent, alors que des petits ont besoin d’être bien encadrés. Que peut bien comprendre un enfant de 4 ans inscrit en activité « sciences », lorsqu’on lui explique ce qu’est la poussée d’Archimède ? Où sont ces magnifiques activités qu’on nous avait vantées ?
Cela ne peut-il pas s’arranger ? Après tout, cela ne fait que trois semaines que la rentrée a eu lieu…
Certaines difficultés vont bien sûr disparaître avec le temps. Mais je ne vois pas comment l’expérience pourra jouer sur la fatigue, ou sur le temps de collectivité devenu plus important. Pour bien faire, il faudrait tout bonnement revenir en arrière : la semaine de 4,5 jours est une aberration, tout du moins en maternelle. La coupure du mercredi était essentielle pour les enfants. Mais restons réalistes : cette loi ne sera pas abrogée. On pourrait imaginer que la journée se termine plus tôt ou commence plus tard tous les jours, de manière régulière, et que l’on compenserait en réduisant les grandes vacances. On pourrait aussi remettre l’école le samedi une semaine sur deux ou sur trois, comme ce fut le cas par le passé.
Et pour améliorer la situation actuelle ?
Si l’organisation actuelle est conservée, il faut mettre en place des locaux adaptés pour sanctuariser à nouveau les classes, et surtout, redonner aux Atsem leurs missions initiales. Il est surréaliste d’imaginer qu’une petite fille ne puisse être changée que par une Atsem pendant la journée d’école, mais puisse à partir de 15 heures être changée par un animateur de 20 ans embauché pour d’autres aptitudes !
Que risque-t-il de se passer à plus long terme, avec cette semaine de 4,5 jours ?
L’école a été complètement désorganisée par cette réforme. Je ne m’attendais pas à ce que le bazar soit si important. On a bougé quelques pions du domino, et tout s’est écroulé. Les résultats n’étaient pourtant pas si mauvais : une étude vient de montrer que le niveau des petits écoliers à l’entrée en CP avait nettement progressé en une quinzaine d’années. Pourvu que cette réforme ne vienne pas inverser la tendance.
Source Article from http://www.lepoint.fr/societe/reforme-des-rythmes-scolaires-c-est-le-chaos-24-09-2013-1734653_23.php
Source : Gros plan – Google Actualités