Huit ans après les faits, la cour d’appel de Rennes a décidé, vendredi 20 septembre, de renvoyer en correctionnelle deux des policiers impliqués dans la mort de Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, morts en 2005 à l’issue d’une course-poursuite à Clichy-sous-Bois. Le parquet général a constamment requis un non-lieu dans cette affaire. En octobre 2012, la Cour de cassation avait annulé un non-lieu de la cour d’appel de Paris et renvoyé le dossier à Rennes. Mais, début juin, le parquet général de Rennes avait à son tour requis un nouveau non-lieu.
Fabien Jobard, chercheur au CNRS, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) et auteur de Bavures policières ? La force publique et ses usages (La Découverte, 2002), analyse les difficultés de la justice à se prononcer dans ce type d’affaire.
Le Monde.fr : Quelle lecture faites-vous du renvoi en correctionnelle de deux des policiers impliqués dans la mort de Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, morts en 2005 à l’issue d’une course-poursuite à Clichy-sous-Bois ?
Fabien Jobard : Nous sommes dans ce jeu triangulaire entre les syndicats de police, l’autorité judiciaire et le pouvoir politique, qui serre la pression, la desserre… Dans cette affaire, le sort du délit de non-assistance sera moins réglé par ce que prévoit la loi que par l’équilibre ponctuel de ces trois forces.
Les décisions de justice concernant des dépositaires de l’autorité publique semblent souvent témoigner d’une certaine forme de clémence. Les policiers et gendarmes sont-ils des justiciables comme les autres ?
Quand il s’agit d’homicides, il faut distinguer deux situations différentes. Il y a le cas rare et simple où l’homicide est commis de manière indubitablement dérogatoire ; par exemple lorsqu’une personne menottée est tuée. La faute, exorbitante, est considérée détachable de l’institution. Le policier est alors jugé comme n’importe quel citoyen et peut être condamné à de la prison ferme.
Mais lorsque la faute n’est pas exorbitante et que l’événement peut être ramené aux circonstances – une interpellation par exemple –, il y a toujours un degré d’incertitude. Ce n’est alors plus l’individu qui est jugé, mais l’institution. La violence en service, au cours d’une intervention, touche au cœur de ce qu’est la police. Le cas jugé devient alors secondaire. Et il est rare qu’une peine de prison ferme soit prononcée. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de condamnation, mais que la justice laisse le soin à l’institution policière de sanctionner le fautif.
La loi est pourtant la même pour tous…
La loi prévoit qu’un fonctionnaire de police fasse un usage de la force « strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre ». Lorsqu’un policier utilise cette force de façon disproportionnée et/ou à mauvais escient, sa qualité de dépositaire de l’autorité publique devrait donc être une circonstance aggravante, car il est censé mieux maîtriser cette force. Mais dans les faits les juges font généralement le contraire de ce qu’exige la loi.
Comment expliquez-vous cette clémence à l’égard de policiers reconnus coupables de violence ?
La justice pénale repose sur la police. C’est donc l’autorité qui dirige la police au quotidien qui requiert la peine. D’autre part, la justice est rendue sous le regard extrêmement vigilant des syndicats de police qui ont repris depuis 2001 un ascendant sur l’autorité politique. En 2010, par exemple, des policiers de Bobigny qui avaient produits des faux ont d’abord été condamnés à de la prison ferme en correctionnelle. Il y a eu une manifestation du syndicat de police Alliance et les peines ont été allégées en appel. Malgré l’éclatement syndical, la police sait mieux resserrer les rangs que la justice.
Existe-t-il des constantes à ces affaires où des policiers sont mis en cause par la justice ?
Il y a généralement une durée importante de la procédure. Tous les actes de la procédure sont sytématiquement constestés. C’est le cas avec Clichy-sous-Bois, les faits se sont produits il y a huit ans !
Je pense à deux autres cas exemplaires. L’un à Dammarie-les-Lys, où le 17 décembre 1997, Abdelkader Bouziane est tué d’une balle dans la nuque par un tir policier. Après quatre ans de procédure, le policier sera relaxé après une décision de la Cour de cassation.
En septembre 2001, après dix ans de procédure, le jury de la cour d’assises des Yvelynes, à Versailles, a acquitté le policier qui avait abattu Youssef Khaïf d’une balle dans la nuque à Mantes-la-Jolie. Un des arguments invoqués à l’époque était que la légitime défense n’était pas constituée mais qu’on pouvait invoquer l’état de nécessité (les émeutes quasi quotidiennes à Mantes). En annulant ce que la loi exige du policier, c’est comme si la justice estimait que la perte de lucidité était excusable par l’environnement urbain.
L’institution policière a-t-elle tendance à privilégier les sanctions administratives aux décisions judiciaires ?
C’est une question compliquée. Les syndicats disent – sans doute à raison – que les policiers n’ont jamais autant été contrôlés et sanctionnés. Les conseils de discipline sont actifs, il y a des cas de révocation définitive. Pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, l’autorité hiérarchique a fait pression sans relâche pour obtenir des chiffres, mais aussi pour éviter tout dérapage.
La vigilance est forte pour tout ce qui est faits internes : consommation d’alcool en service, tenue, dévoiement de la fonction, travail au noir, etc. La situation est différente lorsqu’un usage de la force est porté devant la justice. L’institution policière part du principe qu’il faut laver son linge sale en famille, selon les codes de la maison. Or si parfois certaines sanctions, même informelles comme des refus de mutation, peuvent paraître dérisoires à des personnes extérieures à l’institution, elles sont très lourdement ressenties par les agents.
Source Article from http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/09/20/les-policiers-sont-ils-des-justiciables-comme-les-autres_3482078_3224.html
Source : Gros plan – Google Actualités