Le grand jour approche pour le projet de loi travail. C’est en effet jeudi 24 mars que le texte porté par la ministre du Travail Myriam El Khori sera présenté en Conseil des ministres. Depuis une semaine donc, le but de la manœuvre est d’arrondir les angles et de gommer les aspérités qui ont provoqué des manifestations de rue les 9 et 17 mars, notamment de la part des jeunes. Ce qui inquiète le gouvernement. D’ailleurs, l’Unef (le principal syndicat d’étudiants) notamment appelle à un nouveau mouvement le 24 mars…. Avant la très grande journée de mobilisation à l’appel de syndicats de salariés (CGT, FO, Solidaires, etc.) prévue le 31 mars. Mais, on le sait déjà, le « camp réformiste » (CFDT, en tête) ne sera pas de la partie, estimant avoir été entendu par Manuel Valls le 14 mars dernier quand il a présenté une nouvelle mouture du texte. Or, justement, cette nouvelle version de la loi Travail vient de passer pour examen devant le Conseil d’Etat qui a formulé peu de recommandations. Aussi, c’est donc d’une version quasi définitive du projet de loi dont on dispose maintenant. Tour d’horizon des modifications apportées.
Indemnités prud’homales : les plafonds supprimés, les planchers maintenus
Pour calmer la CFDT qui en avait fait son principal cheval de bataille, le projet de plafonner les dommages et intérêts accordés par les conseils de prud’hommes en cas de licenciement abusif a été purement et simplement abandonné. A ces plafonds (qui variaient entre 3 et 15 mois de salaire selon l’ancienneté du salarié) se substituera un « barème indicatif », fixé par un décret qui sera prêt « dans quelques semaines ». Selon le gouvernement, ce « barème indicatif » – qui indiquera aux juges les montants à allouer en fonction du litige – devrait avoir pour mérite de « progressivement » rapprocher les différentes jurisprudences. A ce stade, on ne connaît pas encore les critères retenus pour la fixation de ce barème (ancienneté, âge du salarié, taille de l’entreprise, etc.).
Autre précision, dont la portée est nettement plus forte dans la pratique prud’homale, le plancher indemnitaire de six mois en cas de licenciement abusif (pour les salariés de plus de deux ans d’ancienneté et/ou pour les licenciements de salariés travaillant dans une entreprise de plus de 11 salariés) sera rétabli. Il y avait un doute sur ce point, comme l’avait souligné « La Tribune », depuis l’annonce par le Premier ministre du retrait du plafonnement des indemnités. Devant l’émotion créée, le ministère du Travail a pris soin de préciser que la législation actuelle ne serait absolument pas modifiée sur ce point…. Sauf surprise lors du débat parlementaire. Le décret fixant le barème indicatif devra donc tenir compte de ce plancher.
Définition du licenciement économique
Sur ce point, on le sait, Manuel Valls n’a pas reculé. Un licenciement économique sera considéré comme justifié, dès lors qu’une entreprise aura connu une baisse de son chiffre d’affaires durant quatre trimestres consécutifs ou des pertes d’exploitation durant un semestre. Etant entendu qu’un accord d’entreprise peut venir modifier ces durées. L’appréciation des difficultés économiques s’effectue au niveau de l’entreprise si celle-ci n’appartient pas à un groupe et au niveau du territoire national s’il y a un groupe de sociétés.
Cependant, afin de limiter les risques de faillite frauduleuse, ou de licenciements « boursiers », il est bien précisé que « ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés économies créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois ». Un ajout destiné à lutter contre la tentation de groupes internationaux de « charger » artificiellement la filiale française afin de la fermer. Il reviendra au juge de mener toutes les vérifications qui s’imposent. On notera que la formule « à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois » risque d’entraîner de sacrés débats…
Des décisions unilatérales de l’employeur davantage limitées
Au grand dam de la CGPME qui souhaitait que les entreprises dépourvues de syndicats puissent disposer des mêmes possibilités d’aménagement du temps de travail que les plus grandes entreprises, finalement, il ne sera pas possible de conclure une convention de « forfait jours » directement avec un salarié, en l’absence d’accord d’entreprise. Le droit actuel continue donc de s’appliquer. Mais, la CGPME pourra en partie se consoler car le texte autorise qu’un salarié de la PME/TPE soit « mandaté » par une organisation syndicale pour conclure un accord sur les « forfaits jours »… Il y aura toujours un syndicat pour le faire et un tel mandatement ne conduit pas à « faire entrer les syndicats dans les entreprises » comme le craint l’organisation patronale.
Toujours à destination des PME, le projet de loi prévoit qu’un accord de branche étendu « peut contenir, le cas échéant sous forme d’accord type indiquant les différents choix laissés à l’employeur, des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de cinquante salariés (…). L’employeur peut appliquer cet accord type à travers un document unilatéral indiquant les stipulations qu’il a retenues ».
Certes il faut un accord de branche étendu mais cette disposition, sil elle est utilisée par les professions, ouvre un très grand champ de possibilité à un patron de PME… C’était d’ailleurs une vieille revendication de la CGPME.
Le projet de loi revient aussi sur plusieurs dispositions sur la durée du travail. Ainsi, in fine, il reste possible, par accord d’entreprise, de porter la durée maximale du travail à 46 heures (au lieu de 44 heures) mais seulement sur douze semaines consécutives et non plus seize comme initialement prévu. De même, un accord d’entreprise ne pourra prévoir un accord de modulation des horaires sur trois ans que si un accord de branche le prévoit. Une disposition qui vise essentiellement le secteur automobile et qui évite les distorsions de concurrence.
Quant à toutes les règles qui permettait de fractionner les repos quotidiens, elle ne sont pas supprimées mais renvoyées à une concertation entre les organisations patronales et syndicales.
Le referendum d’entreprise davantage encadré
Le projet de loi maintient le principe du référendum à l’initiative des syndicats qui permet de contourner le blocage par des syndicats majoritaires d’un projet d’accord. Dès promulgation de la loi, en effet, un projet d’accord sur la durée du travail qui a reçu l’aval de syndicats représentant au moins 30% des salariés pourra être soumis par ces syndicats à référendum pour approbation. Et ce même si des syndicats représentant 50% des salariés se sont opposés au texte. Cela signifie qu’un accord pourra s’appliquer, même s’il a été approuvé par des syndicats minoritaires mais à la condition qu’une majorité de salariés approuve le texte… Une disposition qui pourrait, par exemple, permettre de débloquer une situation rencontrée à la FNAC actuellement sur l’ouverture dominicale.
Mais attention, cette technique du référendum ne sera dans un premier temps possible que pour les accords ayant pour objet la durée du travail. Elle ne sera généralisée à quasiment tous les accords qu’en septembre 2019. Mais il restera des exceptions même après cette date. Ainsi, les accords de maintien dans l’emploi (AME), qui permettent de diminuer les salaires et/ou augmenter le temps de travail en échange du maintien des emplois, resteront soumis à la signature d’un accord majoritaire (50%). Pour eux, le référendum ne sera pas possible.
Un droit à la formation renforcé pour les « décrocheurs »
Enfin, le tout nouveau « compte personnel d’activité », destiné à créer une ébauche de « sécurité sociale professionnelle » en attachant des droits à la personne et non plus au poste de travail, est renforcé. Non seulement il comprendra les droits attachés au compte individuel de formation et au compte pénibilité mais, en plus, il permettra aux jeunes « décrocheurs » et aux jeunes salariés dépourvus de diplôme, de disposer de davantage de droits, via une augmentation du nombre d’heures de formation inscrites dans leur compte et via une extension du dispositif dit « garantie jeune ».
In fine donc, la philosophie première du texte n’est pas modifiée. Certes, les aspects les plus « provocants » sont rabotés, notamment la fin des « planchers » aux prud’hommes. Mais une disposition emblématique comme la « clarification » de la définition du licenciement économique demeure et constitue est un sacré pas en avant pour les entreprises. Bien entendu, les organisations patronales auraient voulu que le texte aille beaucoup plus loin. Mais, au-delà des postures, elles savent aussi que ce texte va permettre de franchir une étape… D’autant plus qu’il ne s’agit que d’un premier projet de loi. L’idée étant d’entièrement refondre le droit du travail dans les trois ans qui viennent. Après tout, en Allemagne, il y a eu quatre lois Hartz.
Source Article from http://www.latribune.fr/economie/france/projet-de-loi-travail-le-texte-definitif-se-precise-558528.html
Source : Gros plan – Google Actualités