Tout pourrait être agencé pour la postérité. La harpe qui lui abîmait le bout des doigts quand elle était enfant, la partition de Schubert ouverte, le lit de repos à baldaquin, les stylos alignés sur le bureau, le livre d’Edgar Morin en évidence. Et si ce cabinet de travail se visitait un jour, comme celui du Général à Colombey-les-Deux-Églises ? Sous les combles de cette demeure de maître normande, Nathalie Kosciusko-Morizet écrivit à 42 ans son programme de présidente de la République française… Entre Sainte-Mère-Église et les plages du Débarquement, le décor pourrait valoir un détour. Dans quelques décennies s’entend. L’Élysée, elle y pense « depuis toujours », et rien ne semble l’impressionner. Dès que l’occasion se présente, une circonscription dans l’Essonne, la mairie de Paris, elle fonce. Le long chemin vers l’élection présidentielle étant glissant, vertigineux parfois, elle ne perd aucune occasion d’y planter une borne. La primaire de la droite de l’automne prochain, excellente fenêtre de tir médiatique, en est une. Mais sûrement pas la dernière. En 2042, Nathalie Kosciusko-Morizet n’aura pas encore atteint l’âge d’Alain Juppé aujourd’hui… soit 6 scrutins présidentiels d’avance sur le favori. Autant dire qu’elle a l’éternité devant elle.
Elle s’est déclarée le 8 mars, Journée internationale des droits de la femme. Son livre programme écrit dans la maison normande, « Nous avons changé de monde », est sorti dans la foulée. Sixième du genre après ceux de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Jean-François Copé, François Fillon et Bruno Le Maire, tous devant elle dans les enquêtes sur la primaire. Si elle n’a pas tout lu, elle sait ce qui marque sa différence. « Mon livre est celui du nouveau monde alors qu’ils sont encore dans l’ancien. Je l’écris depuis des années et j’y ai tout mis de moi, au point de pouvoir le réciter par cœur. Tout le monde ne peut pas dire ça. » Et de planter des banderilles sur les autres candidats, qui seront une dizaine à l’arrivée, leur « arrogance », leurs « visions masculines, descendantes et condescendantes du pouvoir », « leurs conceptions dépassées ». La bataille ne fait que commencer. Éliminer les adversaires d’abord, s’allier avec le survivant ensuite. Au sport de combat, elle excelle.
« J’ai divorcé il y a trois jours »
Pour ELLE, ce jeudi frisquet de fin février, Nathalie Kosciusko-Morizet ouvre sa demeure de campagne, les pages de son livre encore sous embargo et une fenêtre sur sa vie privée. La maison est plantée dans les marais du Cotentin inondés l’hiver, où de jeunes paras américains vécurent leurs dernières heures. Dans la région, tout rappelle le 6 juin 1944, du faux GI suspendu sur le clocher de l’église de Sainte-Mère aux cimetières militaires américains et allemands. Elle y va quelquefois, pour « l’ambiance wagnérienne ». Le manoir, acheté à la fin des années 2000, quand elle était ministre puis porte-parole de Nicolas Sarkozy, a été restauré dans un esprit maison bourgeoise, traditionnelle et confortable. Aux murs, des tableaux, des gravures, des tapisseries anciennes. Les ouvertures sont étroites, le sol est couvert de tapis, les meubles cirés débordent de bibelots. Rien de contemporain ou d’insolite dans cette maison de vacances. Même le jardin, avec ses arbres taillés et ses pelouses tondues, respire l’ordre et la tradition. Sur un secrétaire, deux bérets de marin à pompon rouge. Souvenir de service militaire, quand NKM était officier chef de quart sur un navire basé à Djibouti.
Dans sa Normandie d’adoption, en pull en v marine, jean brut et clarks, elle paraît plus petite et plus fragile que la NKM des salons parisiens, éternellement perchée sur des talons aiguille et maquillée pour les télés dès 8 heures du matin. Plus émancipée aussi. Pelotonnée sur un canapé, devant une cheminée monumentale, elle fait jouer une bague solitaire autour de son annulaire et hésite, avant de confier : « J’ai divorcé il y a trois jours, je viens d’enlever mon alliance. » Le secret de la séparation a été bien gardé, c’est dans notre journal qu’elle veut l’officialiser, sobrement, avant que la rumeur ne lui prête de fantaisistes intentions. « Un divorce est une épreuve, dans toutes les familles », dit-elle. Dans la pièce voisine, une immense cuisine à l’ancienne, Paul-Élie, 10 ans, et Louis-Abel, 6 ans, jouent aux Playmobil avec leur grand-mère paternelle. Andrée, institutrice à la retraite, vit avec eux depuis leur naissance. « Elle, je la garde », dit NKM. Elle « adore » sa belle-mère et sait ce qu’elle lui doit : quand on veut devenir présidente de la République, mieux vaut s’être libérée des soucis quotidiens et ne partager que les bons moments. Avec ses enfants, elle aime « les rituels ». Regarder partir les trains à la gare de Carentan, compter les bunkers à Utah Beach, la plage familiale, rouler sur la voie de la Liberté sur les traces du général Patton. Ou comment étudier l’histoire de France en s’amusant. Après douze ans de mariage, cette séparation est le clap de fin d’une histoire d’amour peu ordinaire. Celle d’un homme déjà mûr, de gauche, et d’une jeune beauté hitchcockienne, de droite, que le hasard fait se croiser à Varsovie dans les années 90. La quarantaine, énarque, divorcé, trois enfants, Jean-Pierre Philippe, conseiller à l’ambassade de France, avait flashé sur une très jolie stagiaire, érudite et blonde. « Car je suis blonde et non pas rousse, précise aujourd’hui NKM, on m’a “roussifiée”, comme pour mettre en avant quelque chose de subversif. Une femme rousse, dans l’imaginaire collectif c’est une sorcière. » Blonde donc, mais pas ingénue.
Polytechnicienne, descendante de juifs de Pologne, la jeune fille jurait et fumait comme un marin, les doigts repliés sur sa cigarette. Elle parlait polonais, avait des idées bien arrêtées et une ambition à tout casser. Issue d’une lignée de politiciens, elle venait d’achever son service militaire à Djibouti. Elle aussi allait se lancer en politique, et elle ne s’arrêterait pas en route, comme son grand-père et son père, maires et conseiller général gaullistes. Jean- Pierre Philippe l’aurait suivie au bout du monde. Mais elle en revenait et n’avait qu’une hâte, rentrer à Paris pour en faire sa profession. Cinq ans plus tard, en 2002, elle entrait à l’Assemblée nationale, l’année suivante, ils se mariaient en habit et robe blanche devant du beau linge et, en 2008, il publiait un roman autobiographique dédié à sa princesse. L’amour a duré dix-huit ans. Plus que dans un livre de Frédéric Beigbeder, mais moins que dans un roman de Stendhal, dont NKM pourrait être l’héroïne.
« La France n’a aucune expérience d’un pouvoir féminin »
Plus de mari, plus de mentor depuis que Nicolas Sarkozy l’a évincée de la direction du parti Les Républicains avant Noël pour son opposition à la ligne « ni FN, ni gauche » au second tour des élections régionales, la benjamine effrontée des candidats à la primaire de la droite est face à son destin. Avec un moral d’acier, sous son casque de boucles : « La guerre est un rituel où les femmes n’ont pas leur place. Surtout en politique : il n’y a que Nicolas Sarkozy qui soit moderne avec les femmes, il leur prête spontanément un cerveau. » Tiens, elle rend à César ce qu’elle lui avait enlevé lorsqu’il l’avait éjectée. En décembre, elle avait hurlé au procès en sorcellerie et dénoncé un complot « stalinien ». À la guerre comme à la guerre.
Son programme ? La liberté sous toutes ses formes. Un projet économique ultra libéral, « entre Thatcher et Reagan », a-t-elle dit dans le journal « Technikart », qui gommera 100 milliards d’euros de charges patronales et la durée légale du travail d’un coup de stylo à plume. Critique sur le salariat, elle veut renouveler le capitalisme, « accompagner chacun dans l’indépendance ». Côté sociétal, c’est ouverture toute, sauf pour la gestation pour autrui et la prostitution. Aux électeurs issus de l’immigration, à qui « personne ne parle », elle voudrait « donner une maison », autrement dit des raisons de voter pour elle. Et son plus fervent couplet va aux femmes. « La France n’a aucune expérience d’un pouvoir féminin », écrit-elle. Chirac l’avait qualifiée d’« emmerdeuse », Bruno Le Maire de « fofolle », Jean-François Copé de « dingue ». Et Nicolas Sarkozy lui a répété qu’il ne la comprenait pas, avant de la juger « irrationnelle ». C’est pourquoi Nathalie Kosciusko-Morizet propose « la subversion ultime » : mettre une femme sur le chemin de l’Élysée. Avec, en tête, un conseil politique reçu à ses débuts, le meilleur selon elle : « Si vous êtes gentille, on viendra à votre enterrement. »
« Nous avons changé de monde », de Nathalie Kosciusko-Morizet (éd. Albin Michel).
Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 11 mars 2016. Abonnez-vous ici.Retrouvez cette semaine Miranda Kerr en couverture de ELLE, et notre dossier spécial Beauté avant-après, dans le magazine en vente.
Source Article from http://www.elle.fr/Societe/News/NKM-rencontre-avec-une-toute-jeune-divorcee-3070198
Source : Gros plan – Google Actualités