« Journée de 12 heures et semaine de 60 heures : une bombe thermonucléaire contre le Code du travail. Un siècle de droits anéantis. » L’ancien inspecteur du travail Gérard Filoche a ainsi résumé sur Twitter l’avant-projet de réforme du Code du travail porté par la ministre Myriam El Khomri.
Même si la critique est un brin exagérée, le gouvernement, conscient de la teneur explosive du texte, n’exclut pas de recourir au 49.3 pour le faire adopter à l’Assemblée sans vote ni débat. Les arbitrages ne sont pas arrêtés, mais si ce projet (dont Le Parisien publie une version non définitive) passe en l’état, voici ce qui devrait changer pour les salariés.
Vous pourrez travailler 12 heures par jour
La situation aujourd’hui. La durée quotidienne maximale du temps de travail est de dix heures. Il existe des dérogations (dans les hôpitaux, par exemple), mais elles sont « accordées dans des conditions fixées par décret, autrement dit dans des cas très rares », rappelle Le Parisien.
Ce que prévoit l’avant-projet. Le temps de travail maximal pourra être porté de dix à douze heures « en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise », si « une convention ou un accord d’entreprise » le prévoit.
Si vous êtes apprenti, vous pourrez travailler 10 heures au lieu de 8
La situation aujourd’hui. Les apprentis, dont les plus jeunes ont 15 ans, peuvent déjà travailler plus de huit heures par jour et plus de 35 heures par semaine si l’entreprise obtient l’accord de l’inspection du travail « après avis conforme du médecin du travail ».
Ce que prévoit l’avant-projet. « A titre exceptionnel ou lorsque des raisons objectives le justifient, l’apprenti de moins de 18 ans peut effectuer une durée de travail quotidienne supérieure à huit heures, sans que cette durée puisse excéder dix heures. Il peut également effectuer une durée hebdomadaire de travail supérieure à trente-cinq heures, sans que cette durée puisse excéder 40 heures. »
Il suffira à l’employeur d' »informer » l’inspecteur du travail et le médecin du travail, sans avoir à demander l’autorisation. Les artisans en tension (imaginons les pâtissiers en période de fêtes) se priveront-ils de recourir si facilement à cette main d’œuvre payée 25% du Smic (366 euros) la première année ? Pas sûr. La protection des jeunes salariés est ainsi « affaiblie », signale à francetv info Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail à l’université de Paris-Ouest Nanterre.
Votre semaine pourra atteindre, de façon temporaire, 46 heures… voire 60
La situation aujourd’hui. La durée légale du temps de travail des salariés à temps complet est de 35 heures par semaine, et toute heure accomplie au-delà est une heure supplémentaire « qui ouvre droit à une compensation ». Selon la loi, le temps hebdomadaire maximal moyen de travail ne peut excéder 44 heures, sur une durée de douze semaines au plus.
Ce que prévoit l’avant-projet. La durée légale du temps de travail reste de 35 heures par semaine. Quant au temps hebdomadaire maximal moyen de travail, il demeure fixé à 44 heures… mais sur seize semaines. Et cette durée peut être portée à 46 heures si la convention collective le prévoit. Enfin, la loi ouvre la possibilité pour l’autorité administrative de monter à 60 heures de travail au cours d’une même semaine, « en cas de circonstances exceptionnelles » .
Si vous êtes salarié dans une PME, le patron pourra plus facilement vous imposer un forfait-jour
La situation aujourd’hui. La hiérarchie doit négocier un accord d’entreprise avant de pouvoir appliquer à telle ou telle catégorie de personnel le « forfait-jour ». Celui-ci permet de rémunérer certains salariés, notamment les cadres, sur la base d’un nombre de jours travaillés annuellement (une sorte d’échange de journées, éventuellement longues, contre des RTT).
Ce que prévoit l’avant-projet. Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, le patron pourra conclure ce forfait-jour directement avec tel ou tel salarié, sans passer par un accord d’entreprise. En outre, le salarié au forfait-jour n’aura plus droit automatiquement à 11 heures de repos consécutives. Elles pourront être fractionnées.
Vos heures supplémentaires risquent d’être payées moins, et plus tard
La situation aujourd’hui. Au-delà de 35 heures, les heures supplémentaires sont majorées de 10%, et certaines branches professionnelles imposent un minimum de 25% de majoration.
Ce que prévoit l’avant-projet. Le plancher de 10% de majoration reste en vigueur, mais le taux de 25% minimum imposé par certaines branches professionnelles saute, explique Mediapart. Et, comme d’habitude, le diable se cache dans les détails : « Le paiement des heures supplémentaires, jusqu’ici annualisé, pourrait être reporté de deux années supplémentaires. Une partie de son salaire à crédit en somme », conclut le site. L’article L. 3121-40 du projet prévoit en effet que « les heures supplémentaires sont décomptées à l’issue [d’une] période de référence. Cette période de référence ne peut dépasser trois ans en cas d’accord collectif. »
Vous aurez moins de recours en cas de licenciement économique
La situation aujourd’hui. En cas de litige, il appartient au juge d’apprécier les réalités économiques des entreprises qui licencient.
Ce que prévoit l’avant-projet. Les difficultés économiques justifiant des licenciements sont désormais précisées par l’article 30 bis. La liste est longue : « baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs en comparaison avec la même période de l’année précédente », « pertes d’exploitation pendant plusieurs mois », « importante dégradation de la trésorerie », mais aussi « mutations technologiques » ou « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ».
Le juriste Emmanuel Dockès juge cette « prédétermination » des cas « inquiétante » parce qu’elle crée « une sorte d’automaticité. La perte d’exploitation peut justifier des licenciements, mais combien ? Dix pour cent du personnel ? Vingt pour cent ? Ce motif est désormais ‘automatisé’ comme raison valable, quel que soit le plan de licenciements. »
Il remarque aussi que les difficultés rencontrées par la filiale française d’un groupe international ne pourront plus être appréciées que dans le strict territoire national. « Si, par un jeu d’écritures, l’entreprise fait un petit déficit en France et des bénéfices ailleurs, par exemple dans sa filiale allemande, via des contrats déséquilibrés, il sera interdit au juge de le vérifier. Ce cadeau-là n’est pas pour les PME, mais pour les groupes internationaux. » Même si le groupe est florissant ailleurs, vous n’aurez pas de recours.
En cas de contestation de votre licenciement, vous toucherez moins aux prud’hommes
La situation aujourd’hui. En cas de licenciement jugé abusif, le salarié peut porter l’affaire aux prud’hommes et obtenir des indemnités, qui ne sont pas plafonnées pour l’instant. La loi Macron, qui voulait instituer ce plafonnement, a été retoquée sur ce point.
Ce que prévoit l’avant-projet. Les dédommagements obtenus seront plafonnés selon un barème fondé sur l’ancienneté. Avec moins de deux ans d’ancienneté, vous toucherez au maximum trois mois de salaire, avec moins de cinq ans d’ancienneté, six mois de salaire, etc. Pour plus de vingt ans, vous ne pourrez compter que sur quinze mois. « Les montants retenus sont souvent en dessous des moyennes observées directement dans les tribunaux », constatent Les Echos, qui estiment que ce plafonnement est « bien plus avantageux [que la loi Macron] pour les plus grandes entreprises ». En clair, ce plafonnement désavantage les salariés. Le juge pourra toutefois décider de dépasser le plafond en cas de harcèlement ou de licenciement discriminatoire.
Source Article from http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/droit-du-travail/ce-que-la-reforme-du-droit-du-travail-va-vraiment-changer-pour-vous_1320217.html
Source : Gros plan – Google Actualités