Malheureuses, les femmes surdouées ? La question peut sembler bizarre tant elle est aux antipodes des préjugés que nous avons sur les adultes dits « à haut potentiel ». Monique de Kermadec, psychologue clinicienne, reçoit depuis des années des patients en souffrance dans son cabinet. Elle a publié récemment L’Adulte surdoué à la conquête du bonheur. Rompre avec la souffrance (1), recueil de témoignages et de conseils pratiques. Pour l’experte, il est tout à fait possible d’avoir une vie riche et épanouie, même en étant surdoué.
Madame Figaro. – Surdouée et malheureuse, on a du mal à y croire. N’est-ce pas paradoxal ?Monique de Kermadec. – Les préjugés ont la vie dure ! Quand on pense « adulte surdoué », on a immédiatement l’image d’un petit génie à lunettes comme Steve Jobs. Pourtant, statistiquement, il y a autant d’hommes que de femmes et, surtout, autant de profils différents. On s’attend de leur part à un sentiment profond de satisfaction. Or, à partir du moment où ces personnes à haut potentiel présentent des traits de personnalité atypiques, elles sortent leur interlocuteur de leur zone de confort. Résultat : l’autre n’est pas toujours prêt à accepter les différences, ce qui peut causer beaucoup de souffrances.
Qu’est-ce qui caractérise la femme surdouée ?
Contrairement à ce que l’on pense généralement, la « douance » n’a que peu à voir avec un chiffre de Q. I.. C’est surtout une manière différente d’appréhender le monde, un regard curieux qui interroge et qui questionne, en permanence. Chez les femmes, certains traits sont exacerbés. La sensibilité est la première chose abordée en consultation. Comme une éponge, elles absorbent tout : les émotions des autres, les bruits, la lumière… Ce n’est rien de dire que ce sont des êtres hypersensibles ! Ensuite, la femme à haut potentiel se sent différente face à la fluidité et la complexité de ses pensées. Mais c’est aussi le cas de son interlocuteur ! Perfectionniste, elle est exigeante avec elle-même et les autres. Trop originale ou affirmée, elle peut être vue comme dominatrice, dure ou pleine de certitudes. Elle rompt avec l’image classique du féminin. Il existe aussi plus souvent que chez les autres un « faux self ». Cette personnalité d’emprunt est censée l’aider à coller à ce qu’elle pense être l’attente de l’autre. Ce n’est évidemment pas infaillible et provoque souvent une grande solitude.
Dans quels domaines rencontre-t-elle des difficultés ?
Tous ! En milieu professionnel, la femme surdouée se confronte à des désillusions : les inégalités hommes-femmes, ressenties comme une profonde injustice, le manque de sens à faire gagner « plus d’argent » à telle ou telle entreprise… Elle a en effet plus besoin que les autres à trouver du sens à son travail.
Et dans la sphère privée ?
Côté amitié, les stratégies employées inconsciemment pour coller aux attentes de leurs interlocuteurs ne sont pas toujours réussies et l’intimité se coupe. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les surdoués se retrouvent souvent entre eux, parfois sans le savoir, parce qu’ils se ressemblent et se comprennent mieux. En couple, la femme surdouée peut être vécue comme une menace ou une pression pour le conjoint. Dans d’autres cas, elle peut être capable de rester de nombreuses années dans des relations insatisfaisantes… parfois parce qu’elle ignore qu’elle peut demander plus à son conjoint !
Monique de Kermadec est psychologue clinicienne et psychanalyste. Elle a également obtenu un doctorat de philosophie. Depuis le début de sa carrière, elle a reçu plus de 8000 adultes surdoués dans son cabinet. Elle anime régulièrement des conférences sur ce thème.
Toutes les femmes surdouées sont-elles en souffrance ?
Non, fort heureusement ! Tout le monde n’est pas condamné à passer quinze ans en psychothérapie comme Woody Allen. Si leurs talents sont reconnus, alors elles se sentent en réussite. En revanche, si elles sont dévalorisées par leur entourage, et donc non reconnues, elles se sentent malheureuses.
Quelles sont les solutions ?
Être heureux n’est pas un état de béatitude permanent. C’est un chemin non linéaire ponctué de moments de bonheur profond. Si la femme surdouée prend conscience de ses dons et s’autorise à les explorer dans des domaines variés, l’épanouissement viendra naturellement. Mais cela nécessite parfois une redéfinition de soi et le passage par la case thérapie. Grâce à leur grande capacité d’introspection, elles y sont hyper-réceptives. Leur formidable intelligence peut les aider à se réinventer et à sortir de l’image archétypale du bonheur pour arriver, enfin, à vivre une vie qui leur ressemble, dans tous les domaines.
(1) L’adulte surdoué à la conquête du bonheur – Rompre avec la souffrance, Albin Michel, 2016
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Source : Gros plan – Google Actualités