En 1973, Anna-Teresa Tyemienecka, philosophe américaine d’origine polonaise, mariée à un influent économiste et mère de trois enfants, prend contact avec Karol Wojtyla, alors cardinal de Cracovie. Elle a lu Personne et Acte, le grand œuvre philosophique du futur pape, et souhaite s’en entretenir avec lui. Après cette première rencontre, ces deux intellectuels vont nouer une relation épistolaire intense, entrecoupée de nombreuses rencontres. On les voit sur des photos dans les hautes herbes de la ferme familiale d’Anna-Teresa Tyemienecka, dans le Vermont ; lors de campings estivaux ou même en tenue de ski à la montagne.
En opposition violente avec le régime communiste farouchement athée, Karol Wojtyla est étroitement surveillé par la BS, féroce police secrète polonaise : il attend souvent ses voyages à Rome pour répondre à Anna-Teresa. Leurs échanges sont à la fois philosophiques, théologiques, et de plus en plus intimes. Après son élection au trône de Saint-Pierre, en 1978, Jean-Paul II reprend rapidement le cours de cette relation, sans jamais l’assumer publiquement.
C’est l’histoire de cette amitié cachée que raconte ce documentaire, diffusé hier dans l’émission d’enquête de la BBC Panorama. Le journaliste anglais Ed Stourton a retracé tout le parcours des amis secrets, retrouvé les exécuteurs testamentaires de la philosophe, interrogé les experts en manuscrits qui ont authentifié les lettres du pape, rencontré des historiens de l’église catholique. Seules sont étudiées les lettres de Wojtyla, vendues en 2008 par Anna-Teresa Tyemienecka ; celles de la philosophe, jalousement gardées par les archives polonaises, n’ont jamais pu être consultées.
Une relation dans les limites de la chasteté
Ce qu’un intervenant qualifie d’emblée de «scoop du siècle» n’en est pas vraiment un : tout indique que Wojtyla a toujours maintenu ses liens avec Anna-Teresa Tyemienecka dans les limites de la chasteté dont il avait fait vœu. Si, clairement, elle lui a très tôt fait part de la nature de ses sentiments à elle, lui n’a cessé d’y voir, tout en les entretenant étroitement, une manifestation de la présence divine. Rien ne ternit donc l’aura du pape Jean-Paul II dans cette enquête, même si l’existence de ces lettres aurait sans doute pu compromettre, ou au moins ralentir, la procédure éclair de canonisation qui l’a sanctifié en 2014. Il faut dire qu’il avait lui-même simplifié les formalités, supprimant notamment l’«avocat du diable», auparavant chargé de fouiller le passé du candidat à la canonisation… Nul doute qu’un tel avocat aurait trouvé trace de ces missives. Mais durant toute la procédure de canonisation, jamais la relation de Jean-Paul II avec cette universitaire américaine mariée n’a fait surface.
Le principal intérêt du documentaire – outre révéler l’humanité du saint homme – réside surtout dans le secret qu’il dénonce : Anna-Teresa Tyemienecka a été simplement rayée de l’histoire personnelle de Wojtyla, effacée – par le Vatican, où ses visites régulières étaient mal vues, mais aussi par le pape lui-même, qui n’a fait mention d’elle dans aucun de ses écrits publics. Dans ses lettres, il mentionne pourtant souvent la nécessité de publier, un jour, des extraits de ses missives à elle. Il n’en fera jamais rien, et ses biographes ou tous ceux qui ont assuré sa postérité ont parfaitement gommé l’existence et le rôle de cette amie, comme si la simple fréquentation d’une femme risquait de salir à jamais la mémoire de Jean-Paul II. Après la mort du pape, en avril 2005, l’Américaine s’en est trouvée profondément blessée, persuadée qu’elle était d’avoir exercé sur lui une cruciale influence intellectuelle, comme elle l’a confié au journaliste star américain Carl Bernstein (héros du Watergate) : « ce pontificat a été gouverné par mes idées.»
Malheureusement on ne saura pas lesquelles. L’a-t-elle influencé sur son opposition au communisme? Sur l’importance de la jeunesse? Sur son intransigeance sociétale? On aurait aimé que le film creuse ces questions de fond, et explore davantage le paradoxe qu’il met au jour : la profonde humanité d’un pape qui s’est montré si conservateur quant au divorce, à l’avortement et à la contraception, et jusqu’à la place des femmes dans l’église – lui qui, ainsi, réservait une place privilégiée à une femme dans sa vie.
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Source : Gros plan – Google Actualités