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"Imaginez, les blessés arrivaient à pied" – Paris Match

Urgentistes de nuit de l’hôpital Saint Antoine : ils étaient en première ligne le 13 novembre. Ils racontent cette nuit éprouvante lors de laquelle ils ont dû soigner les nombreuses victimes des attentats. Une nuit qui les hantera à tout jamais 

« Elle est arrivée seule aux urgences sur son petit vélo. Elle était très calme. Elle avait une balle de Kalach dans la jambe. C’est l’une des premières patientes que nous avons vu arriver ce soir-là » Nathalie, une infirmière chevronnée au visage lumineux tente de recoller les morceaux d’une date qu’elle n’oubliera jamais. Dans son esprit, tout est extrêmement clair. Mais comment verbaliser l’horreur ? Son cerveau semble avoir imprimé chaque seconde de ce vendredi treize novembre, chaque minuscules parcelles de temps et surtout chaque visage. Ce soir là, dans la salle de repos de l’équipe de nuit de l’hôpital Saint Antoine les souvenirs remontent et s’entrechoquent parmi les membres de l’équipe de nuit des urgences. Et certains regards préfèrent se taire. Presque trois mois après les attentats de Paris, la parole oscille entre la frénésie de ne rien oublier et la pudeur de ne rien dévoiler. Dans cette équipe de choc, il y a un cadre infirmier, dix infirmiers, neuf aides soignants et un agent d’accueil. Une « team » soudée, à la hôte remplie de secrets professionnels qu’ils ne livreront jamais.

Le soir des attentats ce sont eux qui étaient de garde aux urgences de cet immense hôpital universitaire parisien de l’assistance publique. Un soir de garde à 500 mètres des premières attaques. Ce 13 novembre 2015, après une courte nuit volée à la journée, ils se sont retrouvés à 21 heures. Comme tant d’autres fois. Sans doute dans l’espoir d’avoir un peu moins de bobos et de misère à gérer jusqu’à sept heures du matin : heure de la relève. Urgentiste, ça n’est pas un métier, c’est un sacerdoce diront certains. Nathalie se souvient « Ce vendredi là, on devait avoir une vingtaine de patient au début de notre garde. D’habitude, une veille de week-end, il y a déjà au moins cinquante ou soixante personnes. C’était même étonnant qu’il y ait eu si peu de patients. On se disait qu’on allait passer une nuit relax. ». Une nuit relax…jusqu’à ce que sonne 21h40. Tous se souviennent alors de cette jeune fille blessée qui est arrivée, étrangement calme. Son accompagnante l’était un peu moins « Elle nous a dit « vous ne comprenez pas, tout le monde est mort, ils sont en train de tuer tout le monde » ».

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« C’était la première vague »

A cet instant, Dalite qui est au comptoir de l’accueil administratif, Linda et Emilie deux infirmières en poste non loin comprennent qu’il se passe quelque chose de grave. Moins d’une minute plus tard, des voitures de particuliers et taxis ont déposé en trombe des blessés. « On n’a pas compris tout de suite. Imaginez, les blessés arrivaient à pied. Ils n’arrivaient pas en SAMU ou en camion de pompier. Non juste à pied. C’était la première vague. Et il n’y avait que nous » explique Raquel, infirmière aguerrie au dynamisme à toute épreuve. Elle peine parfois à trouver les mots tellement les images semblent omniprésentes. Elle reprend « Vous savez, j’ai vécu l’attentat de Saint Michel en 1995. C’était terrible mais ça n’avait rien à voir. Les patients qui arrivaient à l’époque étaient tous médicalisés. Le PMA « poste médical avancé » était déjà actionné. Les blessés étaient dispatchés dans les différents hôpitaux en fonction des compétences. Là c’était vraiment différent. Les patients arrivaient d’eux mêmes ». En attendant les renforts qui sont venus spontanément ensuite, l’équipe de nuit s’est organisée. Impossible de craquer ou de chercher des réponses trop vite, au risque de réaliser un peu trop tôt ce que l’on ressent soi même. La priorité pour l’équipe de nuit, ce sont les patients « Il fallait être rassurant mais aussi en mode automatique afin d’assurer les meilleurs réflexes et soins médicaux »  confie Valérie, une infirmière. Aux urgences de Saint Antoine, il n’y a pas de télévision. Entre les coups de fils de policiers indiquant l’arrivée imminente de patients, ils restent en contact avec le déroulé des évènements, essentiellement grâce aux smartphones. « Les patients débarquaient toutes les minutes. Ils étaient couverts de sang » explique Raquel, infirmière. « Mais le plus étonnant : personne n’avait mal. Croyez moi ou non, les urgences étaient silencieuses ».

Quand on leur demandait s’il voulait plus d’antalgiques, ils disaient « Non ! Vous le gardez pour les autres »

 Tous se souviennent d’une solidarité exemplaire. Les personnes qui attendaient dans la salle d’attente, avant les attentats, se sont spontanément levées afin de laisser leur place aux blessés plus graves, qui, eux-mêmes, s’inquiétaient du sort des autres. Je me souviens d’un monsieur avec le genou explosé. Je lui ai dit « Monsieur, avec ce genou dans cet état là, vous ne pouvez pas ne pas avoir mal ! Je lui ai donné des antalgiques, je ne lui ai pas demandé son avis. Mais quand on lui demandait s’il voulait plus d’antalgiques, il disait « Non ! Vous le gardez pour les autres ». Ils disaient tous ça. Il fallait parfois être ferme. On leur a dit « Ne vous inquiétez pas, on a assez de réserve pour arroser tout le monde ! »» se rappelle Nathalie.

« Une balle de kalachnikov, ça a une énorme cinétique, ça pulvérise tout ce que ça rencontre. Mais ça saigne très peu quand elle est sur les membres. Chez nous ceux qui sont arrivés en sang étaient davantage couverts par le sang des autres. La chaleur de la balle fait hémostase, donc ça cautérise. Cela fait énormément de dégâts à l’intérieur. Les os sont pulvérisés même si ça saigne peu. Mais pour réparer ce genre de blessure, ce n’est pas une intervention, mais plusieurs qu’il faut subir. Les trois quarts des blessés sont aujourd’hui encore au pansement quotidien » raconte t-elle. Cela ne va pas faire un trou simple avec « entrée et sortie » avec un rond au milieu. Cela explose les os. Quand ça rentre ça fait un trou comme une pièce d’un euro. Et quand ça sort ça peut faire le trou de la taille d’une assiette. Mais lorsqu’on vient de subir un choc aussi extrême, c’est assez courant de ne rien ressentir pendant l’heure qui suit, expliquent les soignants.

Il me dit avec un air calme : « voilà, j’ai reçu une balle dans le dos, je crois »

Il est un peu plus de minuit ce samedi soir dans la salle de pause à Saint Antoine. Entre deux soins, la parole se libère. Parfois difficilement. Dalite, la fée de l’accueil de nuit négocie un petit moment pour nous rejoindre dans la salle de repos. Elle a aussi son mot à dire « Ils étaient là tous, avec des blessures pas possibles et d’un calme…Je ne me l’explique toujours pas. Je me souviens d’un monsieur qui s’est présenté devant moi. Il semblait apaisé. Donc je lui demande ses papiers, sa carte vitale. Il me sort tranquillement tout ça. Et là il me dit avec son air toujours aussi calme « Voilà, j’ai reçu une balle dans le dos je crois. On a allongé ce monsieur sur le ventre. Il avait un énorme trou dans le dos… » Emilie, une infirmière enchaîne «  Oui, les blessés étaient d’un calme hallucinant. Au déchoquage, on mettait ensuite les gens à poil parfois. Par ce qu’il fallait absolument regarder s’il n’y avait pas de blessures. Et c’est pas par ce que t’as une blessure au bras que t’en as pas forcément ailleurs. C’était fou quand j’y repense, le choc avait infusé tant d’adrénaline dans le corps. Ils ne sentaient rien sur l’instant »

Après les attentats, certains soignants et infirmiers n’ont pas dormi pendant 48 heures

Après les attentats, certains soignants et infirmiers n’ont pas dormi pendant 48 heures. Et plus encore. Certains ne dorment d’ailleurs pas toujours pas très bien. Mais il n’est pas vraiment question de l’évoquer. Il faut passer à autre chose leur a t-on dit deux jours plus tard. « Non, on va pas oublier, ça fait partie de notre histoire. Ca s’est passé chez nous. A la maison. On a le droit de ne pas oublier ce soir là et d’aimer ceux que nous avons croisés! » précise une ancienne.Ce soir du 13 novembre, l’hôpital Saint Antoine n’a eu aucun décès à déplorer, mais le souvenir de cette nuit les hantera à tout jamais. Il est deux heures du matin dans les couloirs des urgences. Dans quelques jours ça fera trois mois que les attentats de Paris ont eu lieu. Un message dans le haut parleur de la salle de repos demande des « bras en box »: Jean-Baptiste, Linda, Valérie, Nathalie, Emilie, Marion, Alice, Camille, Raquel, Dalite et tous les autres doivent retourner à leur poste. La salle d’attente est bondée. Une nuit comme les autres aux urgences de Saint Antoine. Une nuit comme les autres…ou presque.

Sur la photo, les aides-soignants :  Sandrine, Valérie, Jean-Sébastien, Bruno, Laurent, David, Camille, Wissem et Olivier. Les infirmiers : Linda, Alice, Raquel, Linda, Emilie, Marion, Michael, Nathalie,  Fatma . Cadre infirmier :  Jean-Baptiste.  Agent d’’accueil : Dalite.

Retrouvez dans Paris Match en kiosque le 4 février, la rencontre avec les blessés du 13 novembre, par Pauline Delassus
Source Article from http://www.parismatch.com/Actu/Societe/Imaginez-les-blesses-arrivaient-a-pied-907953
Source : Gros plan – Google Actualités

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