Son ennemi, c’est le monde de la finance et ses représentants. Radical, aux Etats-Unis. Et pourtant, Bernie Sanders, autoproclamé « démocrate socialiste », ne s’en cache pas. « Leur avidité, leur imprudence, leurs comportements illégaux ont détruit les vies de millions d’Américains, explique-t-il à Bloomberg (en anglais). Franchement, si j’étais responsable d’un hedge fund, je ne voterais pas pour Bernie Sanders. Et je contribuerai à la campagne de ses adversaires pour essayer de le défaire. »
Illustre inconnu en France, le sénateur du Vermont est désormais un phénomène politique incontournable de l’autre côté de l’Atlantique, où il devient un sérieux obstacle sur la route d’Hillary Clinton, son adversaire lors des primaires démocrates. Mais qui est cet homme politique, qui se présente lui-même comme la personnalité avec « l’histoire politique la plus inhabituelle » du Congrès américain ? Retour sur son itinéraire.
Hillary Clinton et Bernie Sanders, candidats aux primaires démocrates, lors d’un débat télévisé à Charleston (Etats-Unis), le 17 janvier 2016. (TIMOTHY A. CLARY / AFP)
Un contestataire « en marge de la société »
Désormais en piste pour la Maison Blanche, Bernie Sanders, 74 ans, est loin d’être né avec une cuillère en argent dans la bouche. Elevé dans une famille modeste – un père vendeur de peinture, une mère au foyer – installée à Brooklyn, il a rapidement développé un goût de la contestation, comme le relate le magazine Mother Jones (en anglais). En coordonnant un sit-in contre la ségrégation en matière de logement. En participant à la marche sur Washington, là où Martin Luther King a « fait un rêve ». Ou, selon la plupart des portraits de lui, en s’envolant pour Israël, afin de goûter à une vie alternative dans un kibboutz. (Lequel ? Cela reste un mystère…)
A la fin des années 1960, le New-Yorkais s’installe dans le Vermont, Etat rural devenu refuge pour les hippies. Doux rêveur, Bernie Sanders ? Peut-être, mais pas baba cool. Certes, il a lui-même confessé avoir consommé du cannabis, mais visiblement sans y avoir vraiment pris goût. « Une fois, il s’est décrit comme la seule personne qui n’était pas défoncée à l’époque », s’amuse un activiste qui gravitait dans les mêmes cercles. « Ce n’était pas un hippie, il ne l’a jamais été, raconte Richard Sugarman, l’un de ses amis. Mais il a toujours été un peu en marge de la société. »
La révolution avec Bob Marley
Durant ses jeunes années, il écrivait ponctuellement dans des journaux alternatifs, dont certains extraits ont été exhumés par le New York Times (en anglais). Bernie Sanders y dévoilait sa vision de l’horreur, celle d’une vie de travail « imbécile » et « monotone », coincé ad vitam æternam derrière un bureau à New York. Il livrait aussi une vision apocalyptique des Etats-Unis, dont les citoyens sont dupés par le gouvernement et l’industrie de la publicité. Et évoquait, déjà, la « révolution ». Fidèle à sa ligne politique, aujourd’hui encore, dans ses meetings, ses partisans écoutent Revolution de Bob Marley. Ou Talkin’ bout a revolution de Tracy Chapman.
Son improbable carrière politique démarre en 1971, lorsqu’il accepte de se présenter à sa première élection pour le compte du Liberty Union Party. Le mouvement est opposé à la guerre du Vietnam, qui divise à l’époque les Etats-Unis, prône un salaire minimum garanti, réclame une réglementation plus dure pour les entreprises ou encore la fin de l’école obligatoire, résume Mother Jones. Un programme à gauche toute.
« Une étrange lune de miel » en URSS
Après plusieurs échecs, les portes du pouvoir finissent par s’ouvrir pour lui en 1981. Débarrassé de l’étiquette du Liberty Union Party, Bernie Sanders parvient à se faire élire maire de Burlington, la plus grande ville du Vermont, en battant son adversaire démocrate par seulement dix voix d’écarts. Après des années de disette et des petits boulots de menuisier, d’auteur ou de réalisateur de films, il s’installe dans le fauteuil d’élu : « C’est tellement bizarre d’avoir de l’argent », explique-t-il alors à l’agence Associated Press.
Bernie Sanders en 1986, lors d’une campagne pour le poste de gouverneur du Vermont, et en 1990, après sa victoire au Congrès. (AP / SIPA)
La guerre froide est encore là, mais la ville devient un petit îlot de socialisme, comme le relate l’écrivain Russell Banks, qui a suivi Bernie Sanders en 1985. Surnommée « la république populaire de Burlington », la commune se jumelle durant son mandat avec Puerto Cabezas, au Nicaragua. Le maire est proche des révolutionnaires sandinistes, pas franchement les alliés du pouvoir américain. Après son mariage, en 1988, il s’offre même « une étrange lune de miel » avec sa femme, en URSS, pour finaliser un rapprochement avec la ville de Iaroslavl, dans l’ouest de la Russie.
Un élu « grincheux » ?
Bernie Sanders poursuit son ascension en arrivant au Congrès en 1990, d’abord en tant que membre de la Chambre des représentants, puis dans le fauteuil de sénateur. Le tout en protégeant farouchement sa vie privée. « Ce ne sont pas vos putains d’oignons », répond l’un de ses meilleurs amis quand Politico (en anglais) l’interroge sur son fils. Pas question de dévier de ses propositions. En 1996, l’une de ses adversaires engage un détective privé pour en savoir plus sur lui. « C’est le genre de procédé qui rend la politique si déplaisante pour les Américains et je pense que ça encourage les gens à ne pas participer au processus politique, à ne pas voter, et certainement pas à se présenter à une élection », s’emporte alors Bernie Sanders.
Bernie Sanders (au centre) lors de la réunion d’une commission au Sénat américain, à Washington D.C. (Etats-Unis), le 12 mars 2009. (TIM SLOAN / AFP)
Cette réserve lui vaut la réputation d’être un élu un peu austère, « grincheux » même, selon le New York Times (en anglais), et pas forcément apprécié de tous ses pairs. « Bernie aliène ses alliés, explique Barney Frank, élu démocrate du Massachusetts, au New Yorker (en anglais). Ce côté imbu de sa personne, le fait de dire très fort qu’il est plus intelligent et plus pur que tout le monde, vraiment, ça entame son efficacité. »
Le chouchou du web, pas fan des selfies
Avec ses petites lunettes et ses quelques cheveux gris en bataille, son look et son style paraissent parfois anachroniques dans une campagne marquée par le bling-bling. Il a par exemple annoncé sa candidature sans fanfare, avec un simple e-mail, rappelle le New York Times. « Après un an de voyages, de discussions et de dialogue, j’ai décidé d’être candidat à la primaire démocrate », écrivait-il. Il déteste les selfies, raconte encore Bloomberg : « Si j’avais le choix, je préférerais serrer des mains. » N’est guère enthousiasmé quand il s’agit de signer des autographes. « C’est clairement une compétence dont j’aurais besoin en tant que président : écrire mon nom sur un tee-shirt », raille-t-il.
Bernie Sanders pose pour un selfie avec des supportrices à Iowa Falls (Etats-Unis), le 25 janvier 2016. (JAE C. HONG / AP / SIPA)
Ça ne l’empêche pas d’attirer les foules : 28 000 personnes à Portland, 27 500 à Los Angeles, 20 000 à Boston ou encore 15 000 à Seattle. Autant de soutiens qui financent sa campagne à coup de petits dons. « J’en ai marre des politiciens du statu quo, ce sont tous des vendus aux banques et aux lobbyistes, explique l’une de ses supportrices, Alissa, interrogée par l’AFP. Hillary Clinton est financée par plein de grandes banques. »
En quelques mois, Bernie Sanders est aussi devenu le héros d’internet. L’un des « rois » de Facebook, selon le New York Times (en anglais). Ou le chouchou de Tumblr, à en croire Vanity Fair (en anglais). Il a même droit à son calendrier sexy – une initiative non officielle – sans clichés affriolants de lui, mais avec des photos de jeunes hommes plus ou moins dénudés, histoire de motiver ses troupes.
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Des positions pas toujours très claires
Mais la dévotion de ses fans n’empêche pas les polémiques d’entacher sa campagne. L’un de ses écrits de jeunesse, un vieil article de 1972, dans lequel il évoquait les stéréotypes intériorisés par les hommes et les femmes, s’est retourné contre lui. « Une femme fait l’amour avec son compagnon – en même temps qu’elle fantasme d’être violée par trois hommes simultanément », écrivait-il. « C’était un article assez mal écrit à propos des stéréotypes de genre de l’époque, se défend-il à présent. Les femmes ont le sentiment qu’elles doivent être dépendantes. Ce n’est pas le cas. Les hommes ne doivent pas être des oppresseurs. Nous voulons une société où nous sommes tous égaux. C’est de cela dont je parlais. » Comprenne qui pourra.
Critiquées également, ses relations ambiguës avec la NRA, lui qui est élu du Vermont, un Etat où la chasse reste une pratique importante. Lors de sa campagne de 1990, il avait bénéficié du soutien de ce puissant lobby des armes à feu, qui souhaitait la défaite de son adversaire, rapporte le Washington Post (en anglais). Bernie Sanders avait promis de s’opposer à une loi qui devait établir une période d’attente avant l’achat d’une arme, promesse qu’il a tenue une fois au Congrès. Depuis, il reste ambivalent sur la question, une faille dans son image de progressiste qu’Hillary Clinton n’a pas manqué d’exploiter.
Simple maire, il voulait déjà changer le monde
Tout cela ne l’empêche pas, pour l’instant, de poursuivre son ascension dans les sondages, avec 35% des intentions de vote. Inimaginable il y a quelques mois. Encore plus inimaginable quand, en 1981, simple maire de Burlington, il écrivait au Kremlin, à Downing Street ou à l’Elysée pour mettre en garde contre la course à l’armement militaire, comme le rapporte le Guardian (en anglais) : « Les habitants [de ma ville] ne peuvent pas rester calmes et regarder notre planète être détruite. »
Si, contre toute attente, il finit par s’installer à la Maison Blanche, il a déjà sa petite idée sur sa première mesure, à en croire le New York Magazine (en anglais). Cette fois-ci, il ne compte pas écrire aux grands de ce monde mais inviter des millions de travailleurs pauvres et d’étudiants à marcher sur le Capitole. Pour ouvrir les yeux aux membres du Congrès. « Je leur dirais : ‘Faites ce que vous voulez, mais d’abord faites une chose pour moi : regardez par la fenêtre’, se prend à rêver le sénateur. Parce qu’il y a tous ces gens dehors. Ils demandent leur part du gâteau et ils ne partiront pas sans l’avoir obtenue. »
Source Article from http://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/kibboutz-lune-de-miel-en-urss-et-bob-marley-qui-est-bernie-sanders-le-socialiste-qui-inquiete-clinton_1289437.html
Source : Gros plan – Google Actualités