Des étudiants de l’école Polytechnique à Palaiseau, le 17 octobre 2009 (F.GUILLOT/AFP).
On ne change pas une formule gagnante ! Cette injonction ne prête pas à discussion, sauf à courir après la défaite. En matière d’enseignement supérieur, les formules françaises déclarées gagnantes sont au nombre de trois, qui s’enchâssent : les fameuses « grandes écoles », cependant largement ignorées du monde entier dans les classements internationaux. Les classes préparatoires, intraduisibles dans aucune langue tant elles recouvrent une éducation bizarre qui pré-sélectionne les meilleurs lycéens, puis les gave de cours et de colles comme le font avec leurs volatiles les éleveurs d’oies dans le Périgord. Après deux ans de ce traitement opéré dans l’enceinte des lycées, ces jeunes se lancent à l’assaut des concours.
Les concours sont la troisième formule gagnante. Ils ont été inventés, nous dit-on, par Vauban en 1697 pour recruter ses ingénieurs [1]. Ceux qui y excellent seraient tout simplement plus intelligents que ceux qui échouent. Les intéressés le croient dur comme fer et, le plus comique, c’est que leurs parents en sont pareillement persuadés.
Les professeurs, dans ce parcours parallèle se déroulant en lycée, eux, corrigent beaucoup de copies, ne publient rien, régurgitent ce que les universitaires dans leurs facultés ont cherché et publié et, pas fous, comptent leurs sous. Avec leurs colles, ces professeurs qui ne publient rien (dans le monde entier, les professeurs au niveau tertiaire cherchent et publient. Ils sont même payés pour ça, et enseignent évidemment), gagnent généralement plus qu’un professeur d’université en fin de carrière qui, lui, publie, fait de la recherche, anime un laboratoire, organise des colloques, relit les travaux de ses pairs, prépare la relève. Cherchez l’erreur.
Quelque chose de pourri au royaume de l’enseignement
Depuis plusieurs années, nombre de responsables ont compris que cet enseignement supérieur français était en faillite. Quand l’école Polytechnique qui compte au plan international est celle de Zurich ou celle de Lausanne, quand tous les classements internationaux ringardisent les universités françaises, quand les chercheurs français renommés au plan international sont en poste à l’étranger ou bien y sont partis faire leur thèse, on conviendra qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de l’enseignement supérieur français.
Voilà deux ans, sur le Plus, je signalais un phénomène alarmant : parmi les meilleurs lycéens, certains zappaient désormais la case CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles). Dûment informés de la médiocrité de ce qui les attendait au terme de deux années de bachotage, à savoir intégrer une « grande école » démonétisée dans les billboards internationaux, leur bac en poche, ces jeunes bifurquaient directement vers une université étrangère de renommée mondiale, style Oxford, MIT ou Zurich. L’information a fini par remonter au cerveau du directeur de l’école polytechnique de Palaiseau et, dans son dernier rapport remis en juin 2015, Bernard Attali sonne le tocsin à ce propos.
Les concours consacrent le degré de conformisme au système
Et puis, il y a les concours, une autre particularité française. Ils sont, nous dit-on, la meilleure garantie de démocratisation pour l’accès aux plus hautes fonctions du pays même si, simultanément, les études prouvent que jamais ces postes n’ont été autant trustés par les rejetons de ceux ayant réussi ces concours, 20 ans plus tôt. On en déduira que l’intelligence des concours est héréditaire, ou bien que ces concours ne consacrent pas l’intelligence des impétrants mais leur degré de conformisme à la machine scolaire française. Les partisans des concours ne sont pas à bout d’arguments.
« Supprimer les concours ? Ce serait absurde ! », déclare ainsi Bernard Ramanantsoa, ex-directeur de HEC. Dans un article publié récemment dans « Le Monde » [2], il plaide pour les concours, citant en exemple la Chine, l’Inde ou le Japon, trois pays, nous dit-il, adeptes des concours. Malheureuse plaidoirie : ces trois pays ne brillent en effet pas par la qualité de leur enseignement supérieur. Les nomenklaturistes chinois le savent mieux que quiconque : ils expédient leurs enfants à Harvard ou à Stanford. Même attitude chez les bourgeois indiens dont les enfants fréquentent assidûment, en Angleterre, les établissements du Russell Group, quand ils parviennent à y accéder.
Oui, mais comment font alors ces pays dotés d’un enseignement supérieur vers lequel se ruent les étudiants du monde entier et qui ne pratiquent pas le concours ? Écoutons Ramanantsoa :
« Là où il n’existe pas de concours aussi difficiles, c’est le travail assidu, pendant plusieurs années (…) qui fait office de sélection. »
Ramanantsoa entendait plaider pour l’excellence associé aux concours, il vient d’en dévoiler le secret : il force à beaucoup s’investir pour réussir le saut d’obstacles puis, une fois le concours passé, pas de « travail assidu » mais une longue sieste généralement de trois ans au Club Méditerranée.
Éloge involontaire du dilettantisme par l’ancien patron de HEC qui associe avec l’excellence l’exact contraire de ce que doit être une formation intellectuelle entre 19 et 24 ans, à savoir une exploration intellectuelle sans limite, exigeante, avec élimination naturelle, au fil des cinq ans d’études, de ceux qui se trouvaient là parce que poussés par papa et maman.
La compétition n’a aucun sens dans l’enseignement supérieur
Chargé de conférences à l’X pendant vingt ans dans le département Humanités Sciences Sociales, j’ai souvenance d’une circulaire dans les années 1990 nous demandant, à mes collègues et à moi-même, de mettre un point aux étudiants venus à chacun de nos cours. Le semestre s’étendant sur 13 semaines, l’étudiant qui rendait une copie blanche ou l’équivalent, pouvait négliger voire saboter son examen terminal avec la garantie d’un 13 sur 20. Sans commentaires.
La compétition frontale, un jour donné et à une heure précise, a son sens dans le cyclisme ou l’athlétisme. Elle n’en a aucun dans l’enseignement supérieur. Elle réintroduit un enjeu scolaire qui n’a pas sa place. Les études supérieures doivent être dures, sélectives au long d’un apprentissage programmé aujourd’hui sur cinq années, ouvertes sur un grand nombre de facultés et, pour ceux qui en sentent la motivation, se poursuit sur une thèse qui devrait toujours être financée.
Concours, classes préparatoires, grandes écoles, classement de sortie sont des scories d’un ordre ancien, périmé, nocif. La France est entre les mains de cette engeance arrogante. Tous et toutes sont sortis de cette colonne de distillation où la bande tournante combine CPGE, concours, classement de sortie, « grandes écoles ». De l’Élysée à Areva, on voit le résultat. Et si on essayait autre chose ? Qu’a-t-on vraiment à perdre ?
[1] « Les concours se renouvellent », « Le Monde », 28 janvier 2016.
[2] « Supprimer les concours ? Ce serait absurde ! », « Le Monde », 28 janvier 2016.
Source Article from http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1476417-concours-classement-grandes-ecoles-les-ingredients-de-la-faillite-francaise.html
Source : Gros plan – Google Actualités