Envoyé spécial à Guiseley (Royaume-Uni), Yann Thompson
Le procès de Rob Lawrie a failli ne jamais avoir lieu. En novembre, ce bénévole britannique, poursuivi pour avoir tenté de transporter illégalement une fillette afghane en Angleterre, a tenté de se suicider. Tard le soir, seul dans son petit pavillon de la banlieue de Leeds (Royaume-Uni), l’ancien militaire de 49 ans a fermé les rideaux, allumé un feu dans sa cheminée, avalé des calmants et descendu une bouteille de vin rouge. « J’étais devenu un délinquant, ma famille m’avait quitté, j’étais sollicité par tous les médias, explique-t-il. Pour la première fois de ma vie, c’en était trop. »
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Deux mois plus tard, la maison porte encore les stigmates de cette tentative. Alertée par une amie venue à l’improviste, la police a défoncé la porte de derrière. Le trou a depuis été recouvert par une planche en bois sommaire. Rob Lawrie, lui, a perdu 20 kilos, il grince des dents à longueur de journée, mais ses douleurs à la poitrine, causées par les électrochocs l’ayant ramené à la vie, ont disparu. L’homme, qui revient de loin, pourrait finir en prison. A son procès, jeudi 14 janvier, à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), le prévenu risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, pour aide à la circulation irrégulière d’un étranger.
« Il fallait que je fasse quelque chose »
La vie de Rob Lawrie bascule le 5 septembre 2015. Ce samedi soir, fuyant le télé-crochet qui hypnotise ses enfants, le père de famille se réfugie à l’étage et allume son ordinateur. Comme une claque, il reçoit en pleine figure la photo d’un enfant syrien retrouvé mort sur une plage grecque, Aylan Kurdi. « Je suis resté figé, à regarder ses petits doigts, sa peau, ses bottes. Puis j’ai commencé à me demander comment avaient été les dernières minutes de sa vie… A-t-il cherché son père ? A-t-il compris ce qui lui arrivait, sous l’eau, à 3 ans ? »
Avec ces questions en tête, l’homme finit par se lever. Il se fait couler un bain. « Je me suis mis sous l’eau et j’ai essayé de retenir ma respiration, raconte-t-il. J’ai tenu à peine plus d’une minute, avec le luxe de pouvoir sortir ma tête de l’eau. Je l’ai fait plusieurs fois, encore et encore. J’ai décidé qu’il fallait que je fasse quelque chose. »
« Et là, toute pensée rationnelle m’a quitté »
Une semaine plus tard, Rob Lawrie arrive en France, dans les camps de Grande-Synthe (Nord) et de Calais (Pas-de-Calais), au volant d’un fourgon rempli de dons récoltés grâce à un appel lancé sur Facebook. Il distribue des dizaines de tentes, de sacs de couchage, de paires de chaussures et plusieurs kilos de nourriture. Une fois son camion vidé, il rentre en Angleterre, avec la ferme intention de multiplier les allers-retours vers Calais. Il devient un habitué des lieux et y construit des abris en bois, pour accueillir les familles, en prévision de l’hiver.
Rob Lawrie pose devant un abri en construction, le 29 septembre 2015, avec des migrants, dans la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais). (ROB LAWRIE)
En se promenant dans la « jungle » de Calais, fin septembre, Rob Lawrie sent un frottement contre ses mollets. Il se retourne, baisse le regard, et découvre, levés vers lui, « les grands yeux marron » d’une fillette afghane âgée de 4 ans, Bahar Ahmadi, surnommée « Bru ». « Elle ne va jamais vers les autres, d’habitude », lui confie son père, Reza. Le Britannique et la petite fille deviennent des complices de jeu, au milieu de la boue. Leur histoire, relayée sur Facebook, émeut les internautes et les dons affluent.
Rob Lawrie et Bahar Ahmadi, le 22 octobre 2015, dans une tente de la « jungle » de Calais. (ROB LAWRIE)
Le 24 octobre, après une longue journée passée à construire des cabanes, Rob Lawrie, père de quatre enfants de 7 à 14 ans, partage un plat de lentilles avec des migrants, dont Bru et Reza. L’heure du départ approche : à minuit, il doit prendre un ferry pour rentrer en Angleterre. Malgré le feu de camp, il fait froid. Bru s’endort sur les genoux du bénévole. « Et là, toute pensée rationnelle m’a quitté. »
Cauchemar à la frontière
Alors qu’il avait refusé à plusieurs reprises de conduire la fillette chez des membres de sa famille installés légalement à Leeds, Rob Lawrie craque. « Je savais qu’un lit chaud l’attendait près de chez moi, je ne pouvais pas la laisser là, avance-t-il. J’ai dit à son père que je l’emmenais avec moi. Il m’a donné l’adresse de la famille, on s’est enlacés et j’ai allongé Bru sur la couchette de mon fourgon. »
La nuit vire au cauchemar lorsque, à la frontière, un chien des douanes françaises remarque une odeur suspecte dans le véhicule. Invité à sortir les nombreux sacs entassés à l’arrière, le bénévole s’exécute. « Soudain, au lieu d’attraper un sac, ma main tombe sur la tête d’un homme. » Effrayé, Rob Lawrie prévient les douaniers. Peu après sa trouvaille, il découvre un deuxième migrant érythréen dissimulé à son insu. L’ancien préparateur physique de l’armée britannique est menotté, placé dans une cellule, et menacé d’une longue garde à vue. Il alerte alors la police de la présence de l’enfant dans la couchette du haut.
Sauveur d’enfant ou passeur ?
Uniquement poursuivi pour la dissimulation de Bahar Ahmadi, qui a depuis été renvoyée auprès de son père à Calais, Rob Lawrie va reconnaître les faits devant le tribunal, jeudi. « C’était illégal, et je sais que notre société a besoin de lois pour fonctionner, dit-il. Mais les nuances sont subtiles. Aux yeux de la loi, j’ai soutenu l’immigration illégale. Aux yeux du monde, j’ai sauvé un enfant. »
Son avocate, Lucile Abassade, va plaider la relaxe. « Les textes prévoient que, lorsque l’action vise à préserver l’intégrité de l’individu, et lorsqu’il n’y a pas d’argent en jeu, il ne peut y avoir de poursuite », soutient-elle. Redoutant d’être incarcéré, le prévenu dit, lui, « se préparer au pire et espérer le meilleur ».
Tomber, se relever, et recommencer
Dans sa vie, Rob Lawrie a souvent connu le pire. Dernier enfant d’une famille de sept, bercé par les violentes disputes parentales, il lui arrive, dès 5 ans, de s’échapper par la fenêtre et de descendre par la gouttière. « Je marchais dans la nuit, c’était paisible, c’était beau, parce qu’il n’y avait pas de disputes », se souvient-il. Placé en foyer à 7 ans, il s’engage dans l’armée britannique à sa majorité et parcourt le monde. « L’armée était une famille, c’était bien, nous prenions soin les uns des autres. »
Il finit par quitter l’armée, se retrouve à dormir dans les vestiaires d’une piscine, fonde une petite entreprise et une famille, puis tombe malade. Il chute. De retour dans la rue, divorcé, il réussit à rebondir, se remarie, relance une société. Mais depuis qu’il s’est engagé à Calais, l’histoire semble se répéter.
« Après ma garde à vue, sur le chemin du retour, le moteur de mon van a lâché, raconte-t-il. J’ai levé les yeux au ciel et j’ai demandé ce qui m’attendait encore. » Il rentre chez lui en stop, ouvre la porte, retrouve la pagaille ordinaire des jouets éparpillés dans la maison, mais ne trouve personne. « Ma femme en a eu assez et est partie avec les enfants », dit-il, « dévasté » mais compréhensif. Les absences répétées de Rob, accaparé par ses actions en faveur des migrants, ont également eu des répercussions sur son entreprise de nettoyage, qui périclite. Ses finances personnelles, largement dépensées à Calais, sont dans le rouge.
« Je suis un survivant »
« S’il y a bien une chose que j’ai apprise dans ma vie, c’est la survie, relativise Rob Lawrie. Je suis un survivant. » Peu après sa tentative de suicide, « une femme est venue me voir pour me dire que je devais vivre, car j’avais désormais un but. D’après elle, mon histoire a permis, au Royaume-Uni, de poser comme jamais la question des enfants réfugiés. »
Pour lui, la solution à Calais passe notamment par l’installation dans la « jungle » d’un bureau des services d’immigration britanniques, où les réfugiés pourraient faire leur demande d’asile. « Il y aura une queue de 5 kilomètres, mais ils la feront, pour défendre leur dossier, assure-t-il. Voilà comment on peut mettre fin aux drames dans les camions et dans le tunnel sous la Manche. »
A l’heure de se présenter devant la justice française, le prévenu peut compter sur le soutien de dizaines de milliers de sympathisants. Deux pétitions en sa faveur, en français et en anglais, visant à lui éviter la prison, ont recueilli 170 000 signatures. Des logos « Je suis Rob Lawrie » sont apparus sur Facebook. Certains internautes saluent en cet homme un « héros ». Lui espère juste sortir du tribunal en homme libre, reconstruire sa vie, et pouvoir, un jour, revoir la petite Bru sortie d’affaire.
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Source : Gros plan – Google Actualités