Il a suffi d’un vote. Puis d’une phrase. Et c’est toute la « relation spéciale » entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis qui s’est trouvée ébranlée. Le vote – celui des députés britanniques, qui ont refusé, jeudi soir, par 285 voix contre 272, toute action armée en Syrie – constitue un « couac » historique dans les relations diplomatiques entre Londres et Washington.
La phrase, c’est celle du secrétaire d’Etat américain, John Kerry, décrivant vendredi 30 août la France comme « notre plus ancienne alliée » (« Our oldest allies »), au moment d’égrainer la maigre liste (France, Australie et Ligue arabe) de pays susceptibles de participer à une intervention contre Damas. Sans évoquer, à aucun moment, le rôle de la Grande-Bretagne. Un « oubli » qui a réveillé la susceptibilité – et l’inquiétude – des Britanniques favorables à une intervention armée et attachés à leur relation privilégiée avec Washington.
Compte-rendu : « Le discours de John Kerry, vendredi, sur la Syrie »
UNE « GIFLE » POUR LA GRANDE-BRETAGNE
A Londres, le Telegraph constate que « John Kerry gifle la Grande-Bretagne en qualifiant la France de ‘plus ancienne alliée' ». La « gifle diplomatique » est d’autant plus cuisante que cette référence historique remonte à la guerre d’indépendance américaine, quand le marquis de La Fayette combattait les Britanniques aux côtés des Américains. Hanté par cette antique rivalité, l’auteur de l’article fait part de son désarroi sur son compte Twitter :
Britain conspicuously not mentioned in the roll call of coalition. The French? Named checked by #Kerry as « our oldest ally ». Say no more.
— Peter Foster (@pmdfoster)
Symptôme de la sensibilité de cette question outre-Manche, le journaliste britannique Harry Smith n’hésite pas à comparer cette humiliation à celle de la crise du canal de Suez :
#kerry that is the biggest slap down to the UK since Suez
— Harry Smith (@stvharry)
Pour le Sun, le manquement britannique à son engagement historique aux côtés des Américains équivaut à un avis de décès :
L’avis de décès des relations americano-britanniques publié samedi en une du Sun (entre une bimbo et un jeu…)
— cdesplaces (@cdesplaces)
Le Daily Mail n’est pas en reste :
Etranglement de rage du Daily Mail samedi : les Américains mains dans la mains avec les Français (+ Kate bumpless)
— cdesplaces (@cdesplaces)
Le ministre de la défense britannique, Philip Hammond, a lui aussi joué de la fibre patriote britannique pour affirmer, vendredi sur Channel 4 News, que « l’alliance renouvelée de la France avec les Etats-Unis » mettait la Grande-Bretagne dans une « situation inconfortable », rapporte le Guardian.
« SPECIAL RELATIONSHIP ? NON ! RELATION SPÉCIALE »
Le premier ministre britannique s’est d’ailleurs aussitôt justifié de son échec au Parlement devant son allié historique : il aurait voulu « coopérer avec notre allié le plus important et le plus solide, qui avait demandé l’aide du Royaume-Uni », a-t-il regretté. Mais « la politique est difficile » et « je pense que le peuple américain et le président Obama comprendront », a-t-il poursuivi, écartant néanmoins l’idée de « s’excuser » auprès de Barack Obama. Vendredi soir, Barack Obama a assuré à David Cameron de « la pérennité » de la « relation spéciale » entre les États-Unis et le Royaume-Uni, s’est empressé de rapporter Downing Street.
A contrario, la France apparaît, par la voix de François Hollande, comme l’allié le plus sûr dans l’hypothèse d’une action armée. Ironie de l’histoire, cet engagement déterminé au côté des Américains intervient dix ans après la crise irakienne, qui avait provoqué une tension sans précédent entre Washington et Paris, flamboyant opposant, par la voix de son ministre des affaires étrangères d’alors, à l’invasion américano-britannique en Irak. La conseillère du président George W. Bush pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice, n’avait-elle pas ainsi résumé le sentiment ambiant à Washington : « Il faut ignorer l’Allemagne, pardonner à la Russie et punir la France » ?
Sur Twitter, Jon Williams, ancien journaliste anglais d’ABC et de la BBC, résumait jeudi le changement de paradigme pour les Etats-Unis : « Special relationship ? Non ! Relation spéciale » :
Simpsons called French « cheese eating surrender monkeys ». Now they are the US « Coalition ». Special Relationship? Non! « Relation Spéciale »
— Jon Williams (@WilliamsJon)
A l’issue du discours du secrétaire d’Etat américain, vendredi, le ton était moins enjoué :
#SecKerry: « Our oldest ally the French ». WHAT ?????? The shame of it.
— Jon Williams (@WilliamsJon)
Cette sortie de John Kerry sur l’amitié historique qui unit France et Etats-Unis n’est pas passée inaperçue sur Twitter. Nombre de journalistes et d’anonymes s’étonnent de ce changement d’alliance, dix ans après que le Congrès américain a banni de sa cafétéria les « french fries » pour les remplacer par des « freedom fries » pour sanctionner le refus français de s’engager en Irak :
Une correspondante d’ABC à Londres constate l’oubli de John Kerry :
John #Kerry: The French are the US’ « oldest allies ».. but no mention of the British in his list of allies in his address re #Syria
— MaryGearinAbc (@MaryGearin)
Tout comme le directeur adjoint du service politique du Daily Mirror :
RIP Special Relationship > @faisalislam john Kerry refers to France as « our oldest ally »… Britain not mentioned…
— JamesLyons (@MirrorJames)
La correspondant de la BBC à Los Angeles se souvient de l’épisode des « freedom fries » :
Kerry: ‘The French, our oldest allies….’ HT @timbobutcher for wondering if anyone remembers Freedom Fries? @rcolebourn #Syria
— Alastair Leithead (@aleithead)
Un journaliste de l’AFP à Hong Kong rappelle qu’il n’y a pas si longtemps les Français étaient qualifiés de « singes capitulards bouffeurs de fromage », une expression popularisée en 2003 par le magazine d’opinion conservateur National Review :
France has gone from being « cheese eating surrender monkeys » to « our oldest allies » in US eyes. #Kerry
— Jerome Taylor (@JeromeTaylor)
Michael Fabricant, vice-président du Parti conservateur, résume le sentiment des Britanniques attachés à leur « relation spéciale » avec les Etats-Unis : « Comme les temps changent ! «
US Secretary of State Kerry refers to « our oldest allies, the French ». Historically correct, but oh – how times change.
— Michael Fabricant (@Mike_Fabricant)
Quel sera l’impact du vote britannique sur les relations entre Londres et Washington ? Les avis divergent. Interrogé par l’AFP, Michael Clarke, directeur de l’institut de recherche Royal United Services Institute, estime que ce veto parlementaire conduit le Royaume-Uni « à rater l’acte symbolique de participer » à une intervention en Syrie, qu’il a été l’un des plus fervents à prôner. Cependant, tempère-t-il, « nous avons une relation étroite au niveau du renseignement avec les États-Unis et ce que nous fournirons à nos collègues américains, en termes d’écoutes et de surveillance, sera utilisé ».
Cet observateur estime néanmoins qu’il est difficile de dire comment les États-Unis vont réagir à cette défection de leur allié principal, qui ne repose pas sur un désaccord des dirigeants mais sur l’incapacité de Cameron à faire accepter cet accord par les parlementaires et in fine le peuple. « Je pense que nous allons réparer cela rapidement et que ce ne sera perçu que comme un couac gênant pour le Royaume-Uni. Mais cela pourrait aussi empirer et devenir le début d’un désaccord sous-jacent », explique-t-il.
« UNE INTROSPECTION SUR NOTRE RÔLE DANS LE MONDE »
Plus alarmiste, Alan Mendoza, de l’institut britannique de réflexion The Henry Jackson Society, pense que « ce vote signifie que le Royaume-Uni va rejoindre les nations de troisième zone et qu’il est condamné à être prisonnier des événements, sans capacité de les influencer ».
« Je pense qu’il va y avoir une introspection nationale sur notre rôle dans le monde », a quant à lui prédit le ministre des finances, George Osborne, assurant comprendre le « scepticisme » des parlementaires mais espérant que le Royaume-Uni « ne tournera pas le dos à tous les problèmes du monde ».
PAS LE « CANICHE DE BUSH »
Pour le travailliste Ed Miliband, qui a mené l’opposition contre la motion gouvernementale, la relation spéciale « demeure forte ». « Je pense qu’être un allié des Etats-Unis et avoir une relation spéciale avec eux ne peut pas simplement revenir à faire ce que le président américain attend de vous », a-t-il dit.
Une manière de se démarquer de l’ex-premier ministre travailliste Tony Blair, qui avait hérité du sobriquet de « caniche de Bush » du fait de son soutien sans faille au président américain sur la question irakienne.
Un rôle désormais dévolu à la France, selon certains sujets de Sa Majesté :
Oh well France, it’s now your turn to be the lap dogs to the US Government. Have fun darlings.
— Pyro Lord of Flames (@PYROLordofFIRE)
Source Article from http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/30/la-france-nouvelle-plus-ancienne-alliee-des-etats-unis_3469218_3218.html
Source : Gros plan – Google Actualités